Le petit commerce transfrontalier est une source de revenu importante et un moyen de subsistance pour de nombreux habitants de la région des Grands Lacs. Il donne aussi accès à des biens et services qui permettent à des populations frontalières vulnérables de renforcer leur résilience face à des crises récurrentes comme les conflits, et d’échapper à l’extrême pauvreté.
Or la pandémie de COVID-19 a porté un coup brutal aux échanges commerciaux, à la suite des restrictions de circulation imposées aux personnes, aux biens et aux services à partir de mars 2020.
Ces restrictions ont bouleversé les rouages traditionnels d’un commerce transfrontalier en place depuis plusieurs décennies. Elles ont aussi effacé en partie les progrès accomplis dans le cadre du projet de facilitation des échanges commerciaux dans la région des Grands Lacs, financé par la Banque mondiale. Cette opération, mise en œuvre dans trois pays — République démocratique du Congo (RDC), Ouganda et Rwanda —, en coopération avec le Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), avait obtenu des résultats significatifs depuis son lancement en 2015.
À la lumière des impacts constatés sur ce projet, nous avons pu mettre en évidence les premiers effets de la COVID sur le petit commerce. Ces travaux sont utiles pour orienter la discussion sur l’action à mener et l’élaboration de mesures destinées à atténuer l’impact de la pandémie et contribuer ainsi à protéger l’avenir des petits commerçants dans la région.
Voici les huit points mis en évidence :
- La valeur des échanges de marchandises a baissé. Estimé à plus de 218 millions de dollars en 2018, le petit commerce de marchandises entre la RDC et l’Ouganda avait progressé jusqu’à environ 280 millions de dollars au mois de décembre de la même année, avant de dépasser les 355 millions de dollars début 2020. Sous l’effet des restrictions de circulation transfrontalière, la valeur des échanges de marchandises via les principales infrastructures commerciales a chuté de plus de 50 % et s’établissait à 146,49 millions de dollars en octobre 2020.
- Le temps d’attente aux postes-frontières a augmenté. Alors que les délais de franchissement des frontières avaient été considérablement réduits avant la pandémie, la pandémie a entraîné une hausse des temps d’attente. C’est le cas notamment entre la RDC et l’Ouganda : par rapport à 2018, le passage des postes-frontières de Kasindi-Mpondwe et de Bunagana prend sensiblement plus de temps (entre 2 minutes et 5 minutes supplémentaires).
- Le nombre de passages journaliers a chuté. Le nombre de passages journaliers aux postes-frontières encore ouverts mais faisant l’objet de restrictions a considérablement diminué avec la pandémie. Entre l’Ouganda et la RDC, par exemple, le poste-frontière de Mahagi-Goli n’enregistrait plus que 19 passages en juin 2020, contre 376 en janvier/février, et celui de Kasindi-Mpondwe, 28 passages contre 1 268 auparavant.
- Le petit commerce transfrontalier s’est déplacé vers des points de passage non contrôlés. Les restrictions de circulation ont conduit les petits commerçants autour des postes-frontières de Bunagana et de Kasindi-Mpondwe à se détourner des points de passage officiels. La fermeture des frontières n’a donc pas eu pour seul effet de réduire le nombre de passages : il est probable aussi qu’elle ait induit involontairement un déplacement du petit commerce transfrontalier vers des points de passage non contrôlés, avec le risque d’une propagation de la pandémie.
- La pandémie a entraîné une hausse des coûts commerciaux.Les petits commerçants transfrontaliers qui n’avaient besoin auparavant que d’un « jeton » gratuit valable pour la journée doivent désormais se munir de laissez-passer payants. Le coût de ce sésame représente 10 dollars environ entre la RDC et le Rwanda. Les petits commerçants ougandais et congolais doivent quant à eux débourser respectivement 2,75 dollars et 5 dollars pour passer la frontière, auxquels s’ajoutent 50 dollars de droits de visa. À la frontière entre la RDC et le Rwanda, la réalisation d’un test COVID coûte 5 dollars aux petits commerçants membres d’une coopérative. Entre l’Ouganda et la RDC, le coût d’un test avec certificat au poste de Kasindi-Mpondwe, par exemple, s’élève à 50 dollars.
- Le nombre de centres de test COVID-19 est insuffisant. En raison de l’absence de centres de dépistage en RDC, les petits commerçants qui circulent par le poste de Kamanyola sont parfois contraints de se rendre de l’autre côté de la frontière, à Bugarama, au Rwanda, pour se faire tester. Il en est de même au pont Ruzizi I et à Goma.
- Les pays manquent d’outils de suivi et évaluation appropriés.La collecte de données sur divers indicateurs liés au projet et la remontée d’information en temps réel de la part des petits commerçants se sont avérées difficiles voire impossibles, faute d’enquêteurs sur le terrain pour des raisons de sécurité sanitaire. Ce constat souligne la nécessité pour les pays de se doter de mécanismes de suivi novateurs et fiables afin de pouvoir collecter des données même en l’absence d’enquêteurs sur place.
- La pandémie a encouragé les regroupements de petits commerçants. L’une des principales conséquences de la pandémie a été de promouvoir les regroupements de petits commerçants transfrontaliers en association ou coopérative. Ces structures permettent à leurs membres de confier l’achat ou la vente de leurs produits à un petit nombre de représentants et de limiter ainsi les traversées individuelles. La RDC recensait 80 structures de ce type, rassemblant au total 8 958 personnes, dont une majorité de femmes, qui pratiquent des achats groupés de marchandises et fournissent notamment des services de transport.
Comme un grand nombre de secteurs à travers le monde, le petit commerce et la région des Grands Lacs a été durement touché par la pandémie de COVID-19. Son principal impact a été un renchérissement des coûts pour des populations qui comptent parmi les plus vulnérables au monde. Cependant la réponse mise en œuvre dans la région montre aussi la voie vers un avenir du petit commerce placé sous le signe de la pérennité et d’une meilleure organisation.
Grâce à des politiques qui promeuvent les regroupements de commerçants et le commerce en ligne, mais aussi à la mise au point et à l’adoption de techniques de collecte des données innovantes, il est possible de favoriser un environnement commercial sûr, en limitant notamment la circulation des personnes aux frontières. Enfin, la mise en place de centres de test COVID, dans des tentes, des conteneurs ou des bureaux aménagés aux postes frontaliers permettra de réduire le coût et le temps nécessaire pour se faire tester de l’autre côté de la frontière.
Par NYEMBEZI MVUNGA et CHARLES KUNAKA (Source: Banque mondiale)