Alors que l’état d’urgence pour cause de coronavirus est levé depuis mercredi 22 juillet 2020 au Congo-Kinshasa, les tensions politiques ne cessent de croître au sein de la coalition au pouvoir. Aux nombreuses et puissantes manifestations des dernières semaines contre les projets kabilistes de rendre la magistrature debout plus dépendante du ministre de la Justice – un kabiliste – et de faire admettre un kabiliste considéré comme le cerveau de la méga-fraude électorale de 2018 pour présider la nouvelle Ceni (Commission électorale nationale indépendante), se sont ajoutés, cette semaine, des cortèges de protestation kabilistes contre ce qu’ils considèrent comme une mise à l’écart du Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba, kabiliste, par le président Félix Tshisekedi. On a ainsi eu la surprise de voir Kalev Mutomb, ex-patron de l’Agence nationale de Renseignement (ANR, redoutée de tous les opposants) manifester pour « l’Etat de droit » et « la démocratie ».
En cause: les ordonnances présidentielles de nomination dans l’armée, dont la lecture à la télévision nationale a pris plus de 4h30, le 17 juillet 2020. Selon l’article 81 de la Constitution, les ordonnances présidentielles nommant « les officiers généraux et supérieurs des forces armées et de la police nationale » sont « contresignées par le Premier ministre ». Or, ce dernier étant parti en mission dans son Katanga natal avec le ministre de la Défense, Aimé Ngoy Mukena – un autre Katangais, kabiliste – du 16 au 19 juillet 2020, c’est le vice-Premier ministre Gilbert Kankonde, ministre de l’Intérieur – mais issu de l’UDPS (tshisekediste) – qui a contresigné les ordonnances.
Une telle procédure est prévue par l’article 90 de la Constitution quand le Premier ministre est « empêché ». Elle a d’ailleurs été souvent utilisée par les Premiers ministres de l’ex-président Joseph Kabila. Mais, évidemment, une telle liste de nominations ne s’improvise pas et beaucoup de Congolais ont tiré la conclusion que Félix Tshisekedi avait profité du départ de son Premier ministre pour faire contresigner ses ordonnances par son homme, Gilbert Kankonde.
Un curieux communiqué
Le 21 juillet 2020, le porte-parole du Premier ministre, Albert Lieke, a publié un communiqué indiquant que si M. Ilunga avait bien confié l’intérim à Gilbert Kankonde avant son départ, il en avait « circonscrit la portée » en exigeant que « tout courrier destiné au Premier ministre soit réceptionné à son cabinet avant toute réorientation » et qu’il fallait « le joindre en cas de nécessité ». Ce qui n’a pas été fait, selon le camp kabiliste. Et le communiqué du porte-parole d’ajouter que dans une coalition, le contreseing du Premier ministre constitue « le gage des équilibres des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre, qui est l’émanation de l’Assemblée nationale ».
Les observateurs à Kinshasa notent cependant que ce communiqué du porte-parole constitue « une curieuse manière, pour un Premier ministre, de discuter avec le chef de l’Etat ». « Ailleurs dans le monde, quand un Premier ministre écrit cela, il remet sa démission ». D’où le soupçon que le PPRD (parti de Joseph Kabila dont est issu le Premier ministre) tente de pousser Sylvestre Ilunga à rendre son tablier; les kabilistes sont en effet peu satisfaits de lui, le jugeant trop peu combatif face à Félix Tshisekedi.
Le général John Numbi conciliant avec …Tshisekedi
Sur le fond, on notera que le changement le plus spectaculaire des nouvelles nominations a été l’éviction du général John Numbi, qui était inspecteur général des armées. Ce Katangais est, depuis 2016, l’objet de sanctions des Etats-Unis et de l’Union européenne pour son rôle dans des massacres sous la présidence de Joseph Kabila, dont il était jusqu’ici une pièce maîtresse dans le dispositif de sécurité au Katanga.
Or, dans les tweets qu’il a publiés depuis son éviction, John Numbi ménage Félix Tshisekedi, ce qui donne l’impression qu’il en veut plutôt à Joseph Kabila, qui l’a laissé tomber maintenant que sa réputation d’exécuteur des basses œuvres de celui-ci l’a rendu encombrant. Autrement dit: Kabila et Tshisekedi ont probablement discuté des ordonnances présidentielles sur l’armée; les deux hommes se sont d’ailleurs vus juste avant le voyage du Président congolais en Belgique début juillet.
Les « bases » ne comprennent pas
Ce nouvel incident illustre les difficultés d’entente entre deux pouvoirs issus non du vote populaire mais d’un accord secret entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi, accordant au premier le pouvoir législatif et au second la Présidence. Aucun des deux ne peut reconnaître ouvertement la mise en scène, qui bafoue les résultats électoraux, sous peine de perdre son apparence de légitimité. Mais chacun des deux doit compter avec une « base » politique qui, elle, veut croire à la fiction de sa victoire et ne comprend pas, dès lors, les atermoiements de son chef.
RDC : La semaine où Kabila a choisi “son” président — La Libre AfriqueLa réponse d’un Fayulu considéré comme “très difficile à manœuvrer” et “trop dangereux parce que soutenu par Moïse Katumbi, l’ennemi juré de Kabila, et Jean-Pierre Bemba” ne va pas plaire à Joseph Kabila. Le samedi 5 janvier, Félix Tshisekedi est attendu à Brazzaville. Le président Sassou Nguesso a invité les trois principaux candidats.afrique.lalibre.be |
Ainsi, la colère de l’UDPS ne cesse de croître devant l’incapacité du Président à faire avancer son programme; on a ainsi vu le parti du chef de l’Etat manifester contre les projets kabilistes pour la Justice et pour la Ceni au côté de l’opposition. Et les militants et « élus » kabilistes ne comprennent pas pourquoi, étant « majoritaires » au parlement et dans les assemblées provinciales, ils ont dû céder 40% des postes – donc perdu 40% des revenus que ceux-ci permettent – à l’UDPS et alliés.
Les deux « bases » veulent de plus en plus en découdre et les deux chefs ont de plus en plus de mal à les contrôler, alors que Président comme législateurs arrivent bientôt à mi-mandat et que chaque camp veut faire porter la responsabilité de l’échec patent à l’autre parrtenaire de la coalition. La situation économique est en effet mauvaise et la crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 ne va rien arranger. Combien de temps les deux chefs garderont-ils le contrôle de leurs troupes?
Par Marie-France Cros (La Libre.be)