Comme chaque année, l’assemblée générale des Nations unies va élire la moitié des dix membres non permanents du Conseil de sécurité. Ces États siègeront du 1er janvier 2021 au 31 décembre 2022 .
La bataille opposant Djibouti au Kenya pour un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité des Nations unies en 2021-2022 connaîtra son dénouement à partir du mercredi 17 juin 2020. Ces deux pays d’Afrique de l’Est s’opposent depuis plus d’un an pour remplacer l’Afrique du Sud élue en juin 2018.
L’accession au Conseil de sécurité, organe chargé de la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationale en vertu de l’article 24 de la Charte de San Francisco, est une source de prestige et éventuellement d’influence sur les affaires stratégiques du monde. Elle a dans le passé donné lieu à des batailles diplomatiques intenses qui dans pouvait refléter l’antagonisme existant entre des pays.
Sans revenir, ni prendre position, sur le désaccord opposant Djibouti au Kenya en ce qui concerne le processus de parrainage de la candidature kenyane et sa conformité aux règles et principes établis, la décision djiboutienne de maintenir sa candidature pour les élections de mercredi peut donner lieu à une compétition serrée.
Après la description du déroulement de l’élection des membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies, nous allons détailler les différentes suites possibles du vote qui se déroulera à New-York à partir du mercredi 17 juin 2021.
Élection des membres non permanents du Conseil de sécurité
Les membres non permanents du Conseil de sécurité sont élus par l’assemblée générale des Nations Unies pour deux ans et ne sont pas tout de suite rééligible.
Les modalités de cette élection sont définies dans la charte (articles 18 et 23) et explicités dans certaines dispositions du règlement intérieur de l’assemblée générale (articles 82 à 85, 92 et 141 à 143).
Cependant, en raison de la pandémie du coronavirus, le président de l’assemblée générale a décidé d’aménager les règles d’organisation et le déroulement des scrutins qui se déroulent en juin. Ainsi, les élections du mois de juin 2020 ne se dérouleront pas au cours de la traditionnelle séance plénière de l’assemblée générale mais selon un processus qui verra les représentants des différents pays voter pendant un créneau horaire défini afin de respecter les mesures exceptionnelles en vigueur pendant cette période de crise.
Les élections se déroulent au vote à bulletin secret à la majorité des deux tiers des membres votants. Chaque État membre de l’Organisation des Nations unies dispose d’une voix. L’abstention est considérée comme une absence de participation au vote (article 86 du règlement intérieur). Si les 193 États membres des Nations unies s’expriment, le vainqueur devra obtenir 129 suffrages. Si 10 États s’abstiennent, le seuil de la majorité des deux tiers se situe à 120 voix. Lorsque aucun candidat n’obtient suffisamment de suffrages, il est procédé à un 2e tour entre les deux candidats qui ont obtenu le plus grand nombre de voix. En l’absence de vainqueur lors du 2e tour, un 3e tour de scrutin est organisé entre les deux mêmes candidats.
Passé le 3e tour de scrutin, un ou plusieurs autres États peuvent entrer en compétition à condition d’être éligibles. L’arrivée d’une tierce candidature offre une alternative aux votants en permettant soit de faire pencher la balance d’un côté en diminuant le nombre de suffrages de l’un des candidats soit de se faire élire à leur place avec ou sans leur consentement. Si cette situation se produisait entre Djibouti et le Kenya, un autre État pourrait décider de concourir à condition :
d’être africain, car le siège en jeu revient à ce groupe de pays ;
qu’il ne soit pas un membre sortant du Conseil.
Le règlement intérieur de l’assemblée générale prévoit que si trois tours de scrutin libre (c’est-à-dire ouvert à tous les États éligibles) ne donnent pas de résultat, « les trois scrutins suivants ne portent plus que sur les deux candidats ayant obtenu le plus grand nombre de voix au troisième tour de scrutin libre ; les trois scrutins suivants sont libres, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’une personne ou un membre soit élu ». Ainsi, les tours de scrutins se succéderont tant qu’un candidat n’aura pas atteint les deux tiers des suffrages exprimés.
Par exemple, l’élection de 1979 pour l’attribution du siège latino-américain opposant les candidatures de la Colombie et de Cuba a donné lieu à 154 tours de scrutins non décisifs avant que les deux ne laissent leur place au Mexique. Celle de 2006, encore pour le siège latino-américain, a vu le Guatemala s’opposer au Venezuela avant que le Panama ne se fasse élire au 49e tour de scrutin.
Il est donc intéressant d’envisager différents scénarios possibles du déroulé de l’élection pour le seul siège africain de membre non permanent à compter du 1er janvier 2021.
Différents scénarios du scrutin de désignation des membres non permanents du Conseil de sécurité des Nations unies
Généralement, l’élection des membres non permanents valide un compromis négocié en amont par les États des différents groupes régionaux. Cependant, il arrive que le groupe régional ne parvienne pas à dégager une candidature consensuelle unique ou que plusieurs candidats d’un même groupe concourent pour un siège unique, comme c’est le cas cette année avec Djibouti et le Kenya. Cela donne lieu alors à des élections disputées dont l’issue peut déboucher sur le partage du siège, le désistement des deux candidats au profit d’un État tiers ou encore le retrait d’un des candidats au profit de l’autre.
Le partage du siège au cours des deux années
Souvent pratiquée avant 1965 et l’augmentation du nombre de membres non permanents, la solution consistant à partager le siège entre deux États que l’assemblée générale a eu du mal à départager n’a plus été utilisée pendant un demi-siècle. Les élections de juin 2015 qui ont vu deux pays européens, l’Italie et les Pays-Bas, se disputer le siège européen en jeu l’a remis au goût du jour.
Après quatre tours de scrutins où les deux pays avaient obtenu un nombre similaire de suffrages, bien loin de la majorité requise, les chefs de la diplomatie des deux pays ont convenu d’opter pour le partage du mandat. Cette décision politique, soutenue par le groupe régional, fut justifiée par la nécessité de montrer l’unité entre les pays européens dans une période où l’Union européenne était confrontée à de multiples crises. C’est ainsi que l’Italie s’est fait élire au 6e tour de scrutin et a siégé au Conseil de sécurité entre le 1er janvier et le 31 décembre 2016 avant de céder la place aux Pays-Bas pour l’année restante après une élection formelle.
Il faut, cependant, signaler que cette option de la fragmentation du mandat a fait l’objet de réserves de la part de certains États qui ont rappelé le caractère exceptionnel de cette décision qui ne devait pas suscité une renaissance de cette ancienne pratique qu’ils considèrent comme préjudiciable au bon déroulement des travaux du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le désistement des deux candidats au profit d’un État tiers
L’option du retrait combiné des deux candidats n’arrivant pas à être départagés par les membres de l’assemblée générale, qui permet à un troisième État de se faire élire à leur place est rare mais pas impossible. L’élection de ce troisième État bénéficie généralement du soutien des deux candidats qui se retirent de la course. Cette situation s’est produite deux fois.
En 1979, les candidatures rivales de la Colombie et de Cuba ont donné lieu à une élection sans précédent dans le cadre de la guerre froide. En plus de deux mois, l’assemblée générale a organisé 154 tours de scrutins sans désigner de vainqueur. Finalement, ce n’est que le 8 janvier 1980, soit huit jours après que le siège faisant l’objet de la compétition soit devenu vacant, que les deux pays se sont tous les deux retirés pour laisser la place au Mexique.
Le deuxième précédent est l’élection de 1984 pour le siège revenant à l’Afrique orientale et opposant les rivaux de la Corne d’Afrique à époque, à savoir l’Éthiopie à la Somalie. Après dix tours de scrutin, les deux États décidèrent ensemble de se retirer de la course en soutenant la candidature de Madagascar qui sera finalement élu.
Ces deux cas de figure sont le reflet d’une époque révolue, celle de la guerre froide et où la rivalité entre les blocs de l’Est et de l’Ouest se percevait jusqu’au sein des groupes régionaux.
Depuis cette date, hormis l’élection de Panama en 2006 après que les candidatures du Guatemala et de Venezuela n’aient pu être départagées, les candidats évitent généralement cette logique de destruction mutuelle qui est de nature à créer de profondes dissensions entre des pays issus de la même aire régionale. La préférence est généralement donnée à l’option du retrait négocié de l’un des deux candidats à l’élection.
Le retrait d’un des candidats au profit de l’autre
Avec la fin de la guerre froide, les élections pour les sièges de membres non permanents sont moins disputées, à quelques exceptions près. Au cours des vingt dernières années, ces élections se déroulent en général en moins de cinq tours de scrutins.
Dans certains cas, l’État qui retire sa candidature négocie avec son rival et les autres membres de son groupe régional pour s’assurer d’une élection « facile » dans un avenir proche. Ce fut le cas de la Guinée-Bissau qui s’est retirée au profit du Nigéria après le 3e tour lors des élections de 1993 avant de se faire élire dès le 1er tour en 1995. Autre exemple, la Slovaquie se retirée lors des élections de 1999 au profit de l’Ukraine avant de se faire élire sans aucun concurrent du groupe des pays d’Europe orientale en 2005.
Dans d’autres cas, l’État décide de retirer sa candidature sans cette assurance. Cependant, ce retrait ne se fait en général pas sans contrepartie, et peut permettre à cet État de bénéficier d’un soutien pour l’obtention d’un siège dans d’autres organes comme le Conseil économique ou encore l’appui à la candidature d’un ressortissant à un poste clé dans une organisation internationale.
Avec un scrutin à l’issue incertaine qui risque de raviver des lignes de fractures latentes existant sur le continent africain (pays arabo-musulmans vs chrétiens, pays francophones vs anglophone, petits pays vs grand pays, etc.), la compétition opposant les candidatures de Djibouti et du Kenya s’apparente à un duel déséquilibrée qui sera riche en enseignements.
En contestant le parrainage du Kenya par l’organisation panafricaine, Djibouti, qui bénéficie du soutien des États membres de plusieurs organisations internationales (OCI, LEA, Francophonie) a décidé, contrairement à beaucoup de « petits pays », de faire un pari osé face à un candidat qui rêve de représenter l’Afrique en qualité de membre permanent.
Si la victoire à cette élection de mercredi n’est pas impossible, elle ne sera pas sans difficulté à l’instar de ce coureur de fond qui, voyant que le passage par la corde bloquée par des concurrents à l’approche de la ligne d’arrivée, décide de contourner le peloton, ce qui nécessite une énergie plus conséquente.
Avant le début des opérations électorales à New-York, la délégation djiboutienne devra imaginer plusieurs scénarios en fonction des différentes issues possibles afin de prendre les bonnes décisions après les résultats du 1er tour de scrutin.
Plus généralement, la diplomatie djiboutienne devra analyser les difficultés rencontrées au cours de cette année dans la quête de soutien pour cette élection au poste de membre non permanent du Conseil de sécurité pour mieux préparer les candidatures à l’avenir et au-delà à repenser la perception du système international en promouvant et renforçant la présence des nationaux aux différents échelons dans les organisations sous-régionales, régionales et internationales.
Le Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité est l’un des six organes principaux des Nations unies. Il constitue un conseil restreint de pays membres de l’organisation veillant au maintien de la paix et de la sécurité dans le monde. Incarnation de la coopération entre les puissances, la question de sa réforme est régulièrement évoquée.
Composition et fonctionnement du Conseil de sécurité
Le Conseil de sécurité a pour responsabilité principale le « maintien de la paix et de la sécurité internationales » (Article 24 de la Charte des Nations unies) et doit pouvoir se réunir en permanence.
Le Conseil de sécurité est composé de quinze membres :
- cinq permanents – historiquement, les vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale : Chine, Etats-Unis, France, Royaume-Uni et Russie
- dix membres élus pour deux ans par l’Assemblée générale, en tenant compte de la répartition géographique. Chaque groupe régional dispose ainsi d’un nombre attribué de sièges : 3 pour l’Afrique, 2 pour l’Asie-Pacifique, 2 pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 1 pour l’Europe orientale et 2 pour l’Europe occidentale et les autres Etats.
Voir les Etats composant actuellement le Conseil de sécurité
Les membres du Conseil de sécurité se succèdent tous les mois à la présidence de l’organe, selon l’ordre alphabétique anglais, et se mettent d’accord sur un programme de travail mensuel.
Au sein du Conseil, chaque membre dispose d’une voix. Les résolutions sont adoptées par vote à la majorité de neuf voix sur quinze. Les membres permanents disposent en outre du droit de veto. Toute décision du Conseil est rejetée dès lors que l’un des membres permanents en fait usage. La France, pour sa part, n’a pas fait usage de son veto depuis 1989.
Les décisions adoptées par le Conseil de sécurité sont des textes juridiquement contraignants qui s’imposent à l’ensemble des États membres des Nations unies.
Dans le cas où une situation mettrait la paix gravement en danger, les membres peuvent adopter des résolutions imposant des obligations ou des sanctions à un ou plusieurs Etats.
Le Conseil peut :
• recommander des procédures de règlement pacifique des différends ;
• autoriser l’usage de la force pour maintenir ou rétablir la paix et la sécurité ;
• mettre en place une opération de maintien de la paix (OMP) ;
• créer des régimes de sanctions ;
• établir des tribunaux pénaux internationaux.
Le Conseil peut également décider d’adopter des déclarations (déclaration du Président du Conseil de sécurité ou déclaration à la presse), lesquelles ne font pas l’objet d’un vote mais sont adoptées par consensus.
Le Conseil peut être saisi d’une question relative à la paix et à la sécurité internationale par un Etat membre de l’ONU, un Etat non-membre partie au différend en question, l’Assemblée générale ou le Secrétaire général. Il peut également inviter un Etat dont les intérêts sont particulièrement affectés par le sujet traité à participer au débat – sans pouvoir décisionnel (droit de vote) toutefois.Conseil de sécurité des Nations unies© France ONU / Martin Loper
La question d’une réforme du Conseil de sécurité
La réforme du Conseil de sécurité est régulièrement évoquée, afin d’améliorer sa représentativité et l’efficacité de son travail. Celle-ci est discutée à l’Assemblée générale et porterait sur cinq points :
• les catégories de membres ;
• la représentation géographique ;
• la relation entre le Conseil et l’Assemblée générale ;
• la taille d’un Conseil élargi et ses méthodes de travail ;
• la question du droit de veto.
La France est favorable à un élargissement du Conseil et l’accession à un siège permanent de l’Allemagne, du Brésil, de l’Inde, du Japon, et une présence plus importante des pays africains.
Afin d’éviter la paralysie du Conseil de sécurité, la France promeut également un encadrement de l’usage du droit de veto par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité en cas d’atrocité de masse. Initiée en 2013 par le Président de la République française, François Hollande, la France et le Mexique ont lancé une initiative conjointe pour encadrer le recours au veto lorsqu’une situation d’atrocité de masse est constatée, soit dans les cas de crimes de génocide, de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre à grande échelle. Cette initiative est d’ores et déjà soutenue par une centaine de pays
Par Mah Bouh/ONU Infos