Selon deux spécialistes du domaine, la Suisse devrait exiger un approvisionnement responsable en cobalt, un minerai très demandé dont l’extraction comporte des risques pour les droits humains souvent négligés.Ce contenu a été publié le 22 juin 2021 – Dorothée Baumann-Pauly et Serra Cremer.
Le Conseil fédéral finalise les consultations sur une nouvelle loi visant à tenir les entreprises responsables de l’impact négatif de leurs activités sur les personnes. Un contre-projet qui fait suite à l’échec de l’initiative pour des entreprises responsables dans les urnes l’année dernière (2020).
Le champ d’application du «devoir de diligenceLien externe» prévu par la nouvelle loi est beaucoup plus restreint que celui de l’initiative initiale. La nouvelle mouture n’oblige les entreprises qui commercialisent ou traitent des métaux et des minerais à n’agir que si les produits proviennent de «zones de conflit et à haut risque» ou si «le travail des enfants est possible». Cette obligation s’applique à 23 sous-produits énumérés dans l’annexe, y compris les minerais de conflit (3TG) que sont l’étain, le tantale, le tungstène et l’or dont l’exploitation finance parfois des conflits armés ou passe par le travail forcé.
Pourtant, le cobalt, sans doute le produit de base le plus en vogue pour les années à venir, ne figure pas sur la liste. Or il devrait y figurer.
L’initiative pour des entreprises responsables: quelle est la suite?
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Envolée de la demande
Le cobalt est un composant essentiel des batteries lithium-ion qui alimentent les appareils électroniques et les véhicules électriques. Accélérées par les investissements dans la mobilité propre et les objectifs en matière de changement climatique, les ventes de véhicules électriques augmentent rapidement, entraînant une hausse spectaculaire de la demande en cobalt.
Malgré l’impact négatif de la pandémie sur le marché, les ventes mondiales de véhicules électriques ont augmenté de 40% en 2020 et ont plus que doublé au premier trimestre 2021, tandis que le prix du cobalt a connu une flambée de 60% cette année. L’Agence internationale de l’énergie s’attend à ce que la demande de cobalt atteigne entre 6 et 30 fois les niveaux actuels d’ici à 2040.
Bien que plusieurs constructeurs automobiles investissent dans des technologies permettant de produire des batteries sans cobalt, ces alternatives devraient être utilisées dans moins de 20% des véhicules électriques vendus au cours de la prochaine décennie.
Accidents mortels
Le cobalt est un minerai stratégique dans la transition vers les énergies vertes. Mais il est également lié à de graves violations des droits humains.
Plus des deux tiers du cobalt mondial proviennent de la République démocratique du Congo (RDC), un pays explicitement désigné comme une «zone affectée par des conflits et à haut risque» par le règlement de l’UE sur les minerais de conflitLien externe et la loi Dodd-FrankLien externe des États-Unis sur la protection des consommateurs.
Le cobalt n’a pas été désigné comme un minerai de conflit par les régulateurs américains et européens, car il ne provient pas d’une «zone de conflit» telle que les régions orientales de la RDC contrôlées par des groupes rebelles.
Mais le cobalt est exploité dans une autre «zone à haut risque», avec des problèmes bien connus de travail des enfants et de sécurité dans les mines qui justifient un examen comparable. En 2016, Amnesty International a publié un rapportLien externe soulignant le recours au travail des enfants dans les mines de cobalt artisanales et à petite échelle, ainsi que d’autres exemples de conditions de travail dangereuses dans ces mines.
Depuis lors, une série d’accidents mortels se sont produits dans des mines de cobalt congolaises. L’un d’eux est survenu en 2019 dans la province du Lualaba (chef-lieu: Kolwezi) où des mineurs artisanaux opéraient sur une concession attribuée à une exploitation minière industrielle appartenant à la firme anglo-suisse Glencore, tuant 42 mineurs.
Il ne s’agit pas de cas isolés. Les accidents sont fréquents dans les mines de cobalt artisanales et à petite échelle en RDC.
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La Suisse, plaque tournante du marché des matières premières
L’intégration du cobalt dans la nouvelle loi est particulièrement importante dans le contexte suisse, car la Suisse abrite deux des plus grands acteurs de la chaîne d’approvisionnement mondiale en cobalt, Glencore et Trafigura.
En tant que négociants en cobalt congolais, ces deux entreprises sont bien conscientes des problèmes de droits humains dans les mines de cobalt du pays et s’efforcent de les résoudre.
Glencore soutient la Fair Cobalt Alliance, une initiative multipartite qui vise à améliorer les conditions d’exploitation des mines et à éradiquer le travail des enfants. Trafigura est le seul partenaire commercial de l’Entreprise Générale du Cobalt (EGC), la société minière d’État, avec laquelle elle a récemment élaboré des normes d’approvisionnement responsable, afin de garantir une exploitation artisanale du cobalt sûre et strictement contrôlée.
L’inclusion du cobalt dans la loi ne stigmatiserait pas le cobalt congolais, conséquence présumée de la législation Dodd-Frank sur les minerais de conflit aux États-Unis, qui a conduit certaines entreprises à éviter de s’approvisionner en 3TG en RDC. Elle n’inciterait pas non plus les entreprises à éliminer le cobalt de leurs produits. Au contraire, elle devrait promouvoir des pratiques d’approvisionnement responsables et renforcer les efforts actuels des entreprises et du gouvernement congolais, y compris l’EGC, pour lutter contre les violations des droits de l’homme dans la chaîne d’approvisionnement des batteries. Elle devrait également procurer un avantage concurrentiel aux entreprises qui adoptent déjà un approvisionnement responsable en RDC.
En exigeant une diligence raisonnable en matière de droits humains pour le cobalt, la contre-proposition suisse peut renforcer les efforts du gouvernement congolais pour réguler la production artisanale de cobalt. Elle peut également rassurer les acheteurs quant à l’origine responsable du cobalt congolais et améliorer son acceptation sur le marché. Concrètement, cette obligation de diligence raisonnable exigerait des entreprises impliquées dans la chaîne d’approvisionnement en cobalt, des sociétés minières aux négociants, en passant par les raffineurs et les entreprises en aval qu’elles collaborent entre elles et avec les organisations de la société civile, les gouvernements et les universités pour développer un ensemble unique de normes et de paramètres mesurables qui aideront à traiter les risques liés aux droits de l’homme.
Une telle plateforme de collaboration multipartite existe déjà dans le cadre de la Global Battery AllianceLien externe, une initiative lancée par le Forum économique mondial. Une loi suisse qui inclut le cobalt peut fournir des incitations essentielles pour la mise en œuvre locale de telles normes.
Si la Suisse n’inclut pas le cobalt dans sa nouvelle loi, elle sera également en décalage avec ses voisins. L’UE a déjà proposé un règlement sur les piles (UE 2019/2020), qui devrait devenir, d’ici la fin de l’année, un autre élément d’un système réglementaire juridiquement contraignant à l’échelle de l’UE sur la responsabilité des entreprises.
Elle exige un devoir de diligence obligatoire de la chaîne d’approvisionnement pour les métaux et minéraux utilisés dans la fabrication des piles, y compris pour le cobalt.
Les consultations sur la loi suisse se terminant à la mi-juillet, il est temps pour le gouvernement de veiller à ce que la mobilité future soit non seulement propre, mais aussi respectueuse des droits humains.
Les vues exprimées dans cet article sont exclusivement celles de leurs autrices et ne reflètent pas obligatoirement la position de swissinfo.ch.
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