Plus de 4 000 migrants ont été enregistrés depuis le début de l’année en Lituanie, contre 80 en 2020. Tous viennent de la Biélorussie voisine. L’ouverture de la frontière a été décidée par le président biélorusse Alexandre Loukachenko, en représailles aux sanctions européennes. Parmi les exilés, se trouvent de jeunes Africains, venus faire des études en Biélorussie. Tentés par la traversée de la frontière, ils ont été arrêtés en Lituanie et se retrouvent bloqués là-bas.
De son propre aveu, il y a encore quelques mois, Koffy* n’aurait pas su placer la Biélorussie sur une carte. « La Russie oui, mais pas la Biélorussie ». Le jeune homme de 27 ans est originaire d’un pays d’Afrique de l’Ouest dont il n’a pas souhaité qu’InfoMigrants publie le nom, craignant pour sa sécurité. Engagé au sein de l’opposition au régime actuel, il a décidé de fuir son pays où il affirme avoir été menacé.
Après plusieurs mois passés en tant qu’étudiant en Biélorussie, le jeune homme a quitté le pays pour la Lituanie, le 7 juillet.
Son projet de départ est né à la fin du mois de juin, quand Koffy note que plusieurs étudiants ont quitté l’auberge étudiante de Minsk où il vit. « Quelqu’un m’a dit que les gens partaient parce que la frontière [avec la Lituanie] était ouverte », se remémore-t-il.
>> À (re)lire : La Lituanie se dit débordée face à l’afflux de migrants venus de Biélorussie
Le jeune homme décide, lui aussi, de tenter sa chance. Il quitte Minsk pour Grodno, à une cinquantaine de kilomètres de la frontière lituanienne. De là, il prend un taxi jusqu’au dernier village avant la frontière et entre à pied en Lituanie. « Après avoir marché pendant environ deux heures, J’ai été arrêté par des policiers lituaniens et, depuis, je suis enfermé. »
Des conditions de vie indignes
Cela fait maintenant plus d’un mois que Koffy vit dans une ancienne école du minuscule village de Verebiejai, perdu en pleine campagne lituanienne, à environ 130 kilomètres de Vilnius.
Des hommes, femmes et enfants vivent dans ce bâtiment décati qui a été entouré d’une grille. Il y a encore quelques jours, les journalistes étaient autorisés à parler aux migrants à travers le grillage. Mais depuis que la barrière a été en partie recouverte de bâches blanches, ils n’ont plus le droit de s’adresser aux exilés.
À l’intérieur, les conditions de vie sont indignes, selon les migrants. Notamment dans les sanitaires où le sol est recouvert d’excréments en raison de toilettes bouchés. Le lieu est tellement sale que d’épaisses palettes de bois ont dû être installées sur le sol pour se déplacer sans trop se salir.
Koffy se plaint aussi d’une mauvaise gestion de la distribution de nourriture. « Parfois, il y a des personnes qui passent se servir plusieurs fois et après il n’y a plus rien pour d’autres », dénonce le jeune homme qui a déjà passé plusieurs journées avec un seul repas dans le ventre.
« Tant que c’est un pays dans lequel je suis en sécurité »
Pour le jeune homme, l’enfermement en Lituanie est une nouvelle désillusion dans une aventure commencée des mois plus tôt, en mars 2021, à des milliers de kilomètres de la Biélorussie. À ce moment-là, ce pays d’Europe de l’est, soutenu par la Russie et souvent qualifié de « dernière dictature d’Europe », connaît depuis huit mois un mouvement de contestation sans précédent apparu à la suite de la réélection frauduleuse du président Alexandre Loukachenko, le 9 août 2020.
« Je voulais quitter mon pays au plus vite. Quand l’agent de voyage avec qui j’étais en contact m’a dit qu’il pouvait m’obtenir rapidement une invitation d’une université en Biélorussie, je lui ai dit que j’étais d’accord, parce que ma vie en dépendait. J’ai précisé : ‘Tant que c’est un pays dans lequel je suis en sécurité, ça ne me dérange pas’ », raconte Koffy.
Pour entrer en Biélorussie, les étudiants africains se tournent vers des agences de voyage – plus ou moins formelles – qui se chargent des formalités. Une « invitation » émanant d’une université biélorusse est un préalable indispensable pour aller à Minsk. Des agents intermédiaires, généralement basés en Biélorussie, se chargent de fournir ces « invitations ». Les visas étudiants sont ensuite délivrés aux voyageurs étrangers.
Dans le cas de Koffy, « l’agent de voyage » est en fait une de ses connaissances qui a établi un contact avec un intermédiaire libanais chargé d’effectuer la demande d’invitation auprès de l’université biélorusse. Koffy obtient rapidement une lettre de la Belarusian National Technical University, et arrive à Minsk le 10 mars, via Istanbul. « À mon arrivée, j’ai payé le visa étudiant 3 500 dollars (environ 2 975 euros) et j’ai commencé à suivre des cours de russe », se souvient-il.
Rapidement, les déconvenues s’enchaînent. Koffy apprend que son visa, censé couvrir l’année universitaire, ne sera finalement valide que six mois. Le jeune homme réalise aussi que les étudiants étrangers n’ont pas le droit de travailler dans le pays. Enfin, il n’est pas autorisé à loger où il veut. « L’auberge où je devais vivre avec d’autres étudiants était vraiment délabrée et sale mais quand j’ai voulu louer un studio, le Libanais m’a dit que je ne pouvais pas partir et que je devais rester à l’auberge », affirme le jeune homme.
Koffy déchante encore quand il prend conscience qu’en tant que bisexuel, il n’est pas en sécurité en Biélorussie. Les discriminations et violences envers les membres de la communauté LGBT sont fréquentes dans le pays.
Mirage lituanien
Quand il prend la route de la Lituanie, il est persuadé d’y trouver une meilleure situation. Mais le jeune homme ignore que, depuis le début de la hausse des arrivées de migrants dans le pays, les autorités lituaniennes ont adopté une nouvelle loi leur permettant de maintenir enfermés les exilés.
Dans les centres d’hébergement, les personnes sont enregistrées mais il n’est à aucun moment question de protection internationale. « Je pensais pouvoir demander l’asile en Lituanie mais là, maintenant, je ne sais plus quoi faire », s’inquiète Koffy.
Tshetshe a, lui aussi, cru au mirage lituanien. Comme Koffy, ce jeune ingénieur en télécommunications, originaire de République démocratique du Congo (RDC), était étudiant en Biélorussie quand Minsk a ouvert sa frontière avec la Lituanie.
La décision de partir n’a pas été simple à prendre pour Tshetshe. Il ne lui restait qu’un an d’études pour valider son Master à l’université de Minsk. « À ce moment-là, les moyens financiers me faisaient défaut. Le doyen de l’université m’avait dit que si je payais mes frais de scolarité en retard, mon contrat d’études serait annulé et je serais expulsé », avance le Congolais.
Mais, en tant qu’ancien fonctionnaire du régime de l’ex-président Joseph Kabila, un retour en RDC le mettrait, selon lui, gravement en danger. Tshetshe préfère tenter sa chance en Lituanie, lui aussi convaincu que ce pays balte, membre de l’espace Schengen, lui ouvrira la porte de l’Europe de l’ouest. Mais après avoir passé la frontière, Tshetshe est arrêté et se retrouve enfermé dans le même centre que Koffy.
L’ingénieur a du mal à réaliser qu’il a été victime du conflit diplomatique qui oppose le président biélorusse à l’Union européenne. En mai dernier, Bruxelles a imposé des sanctions économiques à Minsk après que le régime a fait détourner un avion pour arrêter un journaliste d’opposition et sa compagne. « Nous arrêtions les migrants et les drogues. Attrapez-les vous-même désormais », a répondu Loukachenko à Bruxelles avant d’ouvrir sa frontière avec la Lituanie.
Tshetshe reste perplexe : « On dit que nous sommes des armes que Loukachenko a utilisées pour affaiblir son voisin, pourtant, nous, les étudiants, nous contribuons beaucoup à l’économie biélorusse. »
Des garde-frontières qui montrent la voie
Les étudiants étrangers sont effectivement une source indispensable de revenus pour les universités du pays où la plupart des étudiants nationaux étudient gratuitement, explique Alena Kudzko, directrice du groupe de réflexion politique Globsec, basé en Slovénie.
« Généralement, [parmi les étudiants étrangers se trouvent] des personnes originaires de pays d’Asie centrale, comme le Turkménistan ou bien de pays arabes mais des pays africains sont également concernés », souligne-t-elle. Dans un article de 2016, le média en ligne Belarus Digest affirmait, à partir des statistiques officielles biélorusses, que les Nigérians étaient les étudiants africains les plus représentés dans le pays.
Alena Kudzko n’exclut pas que la nouvelle de l’ouverture des frontières ait pu créer un appel d’air en Biélorussie, mais elle souligne qu' »auparavant, les étudiants venaient bien en Biélorussie pour étudier. Ils ne voulaient pas quitter le pays et entrer dans l’Union européenne. »
Ces dernières semaines, les garde-frontières biélorusses semblent ne plus s’opposer au franchissement de la frontière. Dans les centres en Lituanie et sur les réseaux sociaux, les témoignages et vidéos de militaires biélorusses indiquant la route à suivre à des groupes de migrants se multiplient.
Migrants at the border are being treated by Belarusian border guards. One of them is saying: « Go ahead, go there! » while showing the direction towards Lithuania.#Belarus pic.twitter.com/RAgsOGJbkz— NEXTA (@nexta_tv) August 6, 2021
Le 3 août, la Lituanie a déclaré avoir commencé à refouler les migrants arrivant de Biélorussie. En réponse, Minsk a fermé sa frontière aux personnes qui souhaiteraient revenir en Biélorussie, engendrant une situation désespérée pour les personnes coincées dans les quelques mètres de no man’s land entre les deux frontières. De son côté, l’Irak a annoncé samedi la suspension temporaire des vols vers Minsk.
>> À (re)lire : La Lituanie construit un mur à la frontière avec la Biélorussie
Depuis l’Afrique, les départs continuaient ces derniers jours, malgré les refoulements à la frontière lituanienne. Sur Facebook, certaines agences de voyage informelles qui proposent des visas étudiants et de tourisme pour la Biélorussie ont même modifié leurs annonces pour coller à l’actualité. Le 25 juillet dernier, une agence nigériane précisait dans un post sur les visas pour la Biélorussie : « Nous pouvons vous aider à passer en Lituanie. »
*Tous les prénoms ont été changés
Par Julia Dumont (InfoMigrants)