La colère gronde à Minneapolis et dans d’autres villes américaines depuis la mort de George Floyd, 46 ans, aux mains d’un policier.
Il y a dans le caractère répétitif des violences policières contre les Noirs aux États-Unis quelque chose de profondément ancré dans la société de ce pays, s’accordent à dire deux analystes, dont un Américain.
«Nous, les Blancs américains, nous sommes entraînés [à penser] que les Noirs sont des personnes dangereuses et inférieures. C’est une chose systématique et structurelle. On nous élève comme ça, les Blancs», affirme sans ambages Leonard Cavise, professeur émérite à la Faculté de droit de l’Université DePaul, à Chicago.
En entrevue à Désautels le dimanche, il ajoute que ce sentiment est d’autant plus présent chez la police, qui jouit de la protection que lui confère la loi. Cette mentalité «a pénétré la conscience des juges» et d’autres personnes d’autorité, selon lui.
D’après ce juriste, cette attitude de supériorité et de méfiance envers les Afro-Américains est tellement répandue qu’il est plus difficile de convaincre les juges et les jurés, qui ont toujours tendance à croire ce que dit la police. D’où d’ailleurs ce sentiment d’impunité et d’injustice largement partagé dans les communautés noires aux États-Unis.Gilles Vandal, professeur émérite à l’Université de Sherbrooke .
«On voit régulièrement des policiers tuer des Noirs depuis des années. Quand est-ce qu’on a vu un policier véritablement se faire condamner? Le pire qui pouvait arriver, c’est qu’il perdait son emploi», fait remarquer pour sa part Gilles Vandal, professeur émérite à l’Université de Sherbrooke et auteur de plusieurs publications sur la politique et l’histoire américaines.
C’est dans la psyché des Blancs que d’entretenir ce genre de rapports avec les Noirs, explique celui qui s’est beaucoup intéressé à la violence raciale américaine. Les Blancs ne s’en rendent même pas compte et, mieux encore, ils se cantonnent dans une posturedéfensive, poursuit-il.
«Dès ses premiers balbutiements, la société américaine a été fondée sur le racisme», mentionne M. Vandal. Il voit dans la tragédie de Minneapolis et celles qui l’ont précédée les relents d’un passé peu glorieux, celui de «la ségrégation raciale qui a duré jusque dans les années 1960» et qui est survenue après l’abolition de l’esclavage.
«Ça a mené, avec la fin de la ségrégation raciale, à ce qu’on appelle le racisme systémique dans le sens où être né Blanc devient un privilège. Si je me présente à une banque, si je suis un Blanc, il n’y a personne qui va se demander si je suis honnête ou pas. Tandis que si je suis un Afro-Américain, on a des doutes», relève Gilles Vandal.
L’effet Trump
Et rien n’augure d’une amélioration en vue, à en croire Leonard Cavise. Bien au contraire, pense-t-il, car Donald Trump est en train d’exercer toute son emprise sur le système judiciaire, en désignant des juges qui épousent ses thèses.
Pour preuve, explique le professeur de droit, le président américain a «nommé un tiers de tous les juges fédéraux dans tout le pays» et cela «va nous affliger pour des générations et des générations, à moins qu’ils [les juges] changent. Il est toujours possible pour un juge de changer, et ils peuvent changer.»
M. Vandal observe lui aussi que Trump est en train de marquer de son empreinte le système judiciaire, à en juger par «ce qui se passe dans les cours des districts fédéraux». Le président «nomme des gens qui ont à peu près 35 ans, et on sait qu’ils vont être là pendant 50 ans». Ce faisant, il veut faire de l’appareil judiciaire un «bastion d’hommes blancs pour préserver les acquis et les privilèges que les Blancs ont obtenus.».
Le président Trump a promis de mettre fin « maintenant » aux manifestations violentes qui secouent les principales villes américaines depuis la mort de George Floyd.
Le parti pris du président américain est flagrant, de l’avis de M. Vandal. Il qualifie les antifas (antifascistes) d’organisation terroriste, mais «il ne fait jamais ça pour les suprémacistes blancs. Il y a une politique de deux poids, deux mesures» et cela donne «bonne conscience aux racistes et le sentiment que ce sont les autres qui sont racistes».
Leonard Cavise abonde dans le même sens en rappelant les images surréalistes d’Américains blancs lourdement armés qui ont investi, fin avril, l’entrée du Capitole du Michigan pour manifester contre le confinement. Impossible, dit-il, d’imaginer une telle scène avec des manifestants noirs.
«Trump vient empirer les choses par ses discours, mais en même temps, il est en train d’essayer de retarder le plus possible ce qui va devenir, au niveau démographique, inévitable», note le professeur émérite de l’Université de Sherbrooke. Il fait référence au déclin annoncé de population blanche aux États-Unis.
Après l’intermède d’Obama, les choses sont encore pires qu’avant, parce que les gens racistes sont fâchés contre l’idée qu’un Noir puisse être président des États-Unis. Ils sont tellement racistes qu’ils n’ont jamais pu accepter ça, constate pour sa part Leonard Cavise.
«Il y a un président maintenant qui les libère, qui ouvre la porte, qui dit : »je vous encourage à exprimer votre racisme avec vos fusils, etc. »»
Les Afro-Américains, qui représentent quelque 40 millions de la population américaine, peuvent-ils provoquer le changement aux États-Unis? Oui, répond le professeur de droit, «s’ils votent, s’ils sont dans des organismes communautaires, s’ils sont activistes. L’activisme peut nous sauver, c’est l’activisme qui peut encourager les Blancs à dépasser leurs limites et à s’unir avec les Noirs dans une lutte solidaire.».
Par Ahmed Kouaou