« Le processus DDR doit être aussi social et politique »
Invité de la DW mercredi 11 août 2021 matin, le chercheur et fondateur du Groupe de recherche sur le Congo revient sur le conflit dans l’Est de la RDC et pointe les problèmes du nouveau programme de désarmement .
En République démocratique du Congo, Tommy Tambwe a été nommé en fin de semaine dernière coordinateur du programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P/DDRCS) par ordonnance présidentielle. Un nouveau programme de démobilisation dont le coordinateur est controversé.
Sa nomination pose en effet problème pour certains car Tommy Tambwe a fait partie de la rébellion du RCD dans les années 2000. Invité de la DW mercredi 11 août 2021, Jason Stearns, chercheur et fondateur du Groupe de recherche sur le Congo de l’Université de New York, insiste : bien que ce programme DDR mette l’accent sur l’aspect communautaire, il faudrait penser plus largement à la réforme de l’Etat congolais.
DW : Monsieur Tommy Tambwe a été nommé en fin de semaine dernière coordinateur du programme de désarmement, démobilisation et relèvement communautaire et stabilisation. Comment vous avez accueilli cette nouvelle ? Ce n’est pas la première fois que vous croisez son nom ?
Jason Stearns : Ce processus était bloqué assez longtemps sur la table du président. Donc c’est une très bonne chose que cela commence. Mais la personne maintenant pose problème, pour plusieurs raisons. Comme vous venez de le dire Tommy Tambwe est une personnalité un peu connue surtout à l’Est du Congo. Il est originaire du Sud Kivu et il a participé dans plusieurs rébellions soutenues par le Rwanda, surtout au Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) où il était vice gouverneur du Sud-Kivu, pendant une période très, très controversée.
Il avait aussi dans le passé été membre des services de renseignement à l’époque où ces services de renseignement congolais étaient très proches du Rwanda. Donc on le voit comme quelqu’un de très proche au Rwanda et cela pose problème pour beaucoup de groupes armés. Et notamment une grande partie de ces groupes armés qui se revendiquent soi disant défenseurs de la patrie, c’est à dire qu’ils sont en train justement, d’empêcher ou de contrecarrer l’influence du Rwanda. Il y a un discours très fort anti rwandais parmi beaucoup de ces groupes armés à l’est du Congo. Alors, ça pose problème d’avoir quelqu’un à la tête d’une commission de démobilisation qui est perçu comme proche du Rwanda.
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DW : Est-ce que vous pensez justement, comme vous le dites, que le fait qu’il soit proche du Rwanda et que certains groupes rebelles en RDC qui se réclament comme étant protecteurs de la patrie, est ce qu’ils vont donner du fil à retordre ?
Jason Stearns : Il y a beaucoup de gens au sein du gouvernement qui ont fait partie des groupes armés par le passé, des groupes qui sont proches du Rwanda. Mais comme une grande partie de ce programme de démobilisation repose sur la confiance des groupes armés, c’est ça le problème. Le fait de nommer quelqu’un qui fait le contraire.
DW : Cette personne, en le nommant le président de la République, ne s’est pas dit pas qu’il peut faire confiance, auprès des groupes armés notamment, même si du côté de la population, cela reste un personnage controversé ?
Jason Stearns : Il faut dire que Toby Tambwe a été impliqué dans certaines grandes négociations récentes avec les groupes armés. Il y avait une négociation au Sud-Kivu, par exemple, conduit avec la facilitation de l’ONG Interpeace, et Tommy Tambwe a participé à cela. Peut être on s’est dit alors : « Il a participé très récemment, il est originaire de là bas, il a des contacts, etc ». Mais quand vous parlez de confiance des groupes armés, il y a déjà des groupes armés qui ont écrit en disant qu’ils ne veulent pas participer à un processus qui est conduit par ceux-là. Ils se sont plaints par rapport à ces nominations. Donc, je ne pense pas que l’on puisse dire que Tommy Tambwe inspire beaucoup confiance au sein des groupes armés. Il aurait été mieux, plus sage, de prendre quelqu’un qui a les compétences dans ce domaine et qui est perçu comme apolitique. Il y en a beaucoup en RDC. Malheureusement, ce n’est souvent pas ça le réflexe. Souvent, le réflexe, c’est de prendre quelqu’un qui est branché, qui a ses connexions au niveau des élites politiques. On retrouve beaucoup de gens qui ont un passé dans les rebellions.
DW : On a là un énième programme DDR. En quoi est ce que celui ci, finalement, sera plus efficace que les précédents ?
Jason Stearns : Dans le passé, le problème était toujours le côté réinsertion sociale. Par exemple, l’ancienne commission a démobilisé plus de 100 000 personnes. Ca allait très bien. Les gens rendent les armes, passent à travers les camps, on leur donne un certificat de mobilisation et puis ils rentrent dans leur communauté et ils se retrouvent là bas, sans travail. Souvent marginalisés ou stigmatisés parce qu’ils ont participé dans les mouvements armés dans le passé. Et c’est là que ça devient compliqué. Et tout d’un coup, ça devient une base pour des nouvelles mobilisations. Et quand on regarde les groupes armés aujourd’hui à l’est du Congo et parmi ces groupes armés, il y a beaucoup de gens qui sont passés au moins une fois et parfois deux fois, trois fois à travers le processus de mobilisation. Il y a ce genre de recyclages qui se fait et c’est justement pas parce qu’on n’a perçu le processus de mobilisation comme technique. Il faut aussi qu’il soit politique et social. On ne peut pas prendre quelqu’un qui a fait 20 ans au sein d’un groupe armé, le remettre à la communauté et penser que ça va aller très bien. Il faut songer pas seulement à la réinsertion économique, il faut lui donner un travail pour empêcher qu’il rentre dans la brousse et reprenne les armes, mais aussi qu’on le réconcilie avec cette communauté contre laquelle il a souvent commis des abus. Et lier tout cela au processus politique en cours. Jusqu’à présent, cela n’existe pas. Il y a par exemple des pourparlers avec les groupes armés en général. Il n’y a pas un cadre qui pourrait aussi miser sur la réforme de l’Etat congolais. Comment réformer l’Etat congolais pour en faire un État qui est au service de la population et pas un État prédateur ?
Par Wendy Bashi (DW)