Le 13 mai 2021, le président Félix Tshisekedi a prononcé un discours de défi à Kolwezi, l’une des capitales minières du pays : « Des investisseurs étrangers arrivent ici les poches vides et repartent milliardaires. Pendant ce temps, nous, nous restons toujours pauvres. À partir de maintenant, les contrats seront gagnants-gagnants ».
Le Congo est si riche, et pourtant si pauvre. Ce refrain est aussi vieux que le pays lui-même. Pendant des décennies, son caoutchouc, son huile de palme, ses diamants, son cuivre et son étain ont enrichi les élites étrangères et laissé relativement peu aux Congolais.
Et les enjeux sont de plus en plus importants : le Congo sera un acteur clé de la transition mondiale vers les énergies renouvelables. Il produit 60 % du cobalt dans le monde, le prix de ce métal a augmenté de 42% cette année, et un rapport du cabinet de conseil McKinsey & Company prévoit que la demande de cobalt augmentera de 60 % entre 2017 et 2025.
Les prix des autres matières premières s’envolent également : le cuivre a augmenté de 130 % et l’or de 45 % au cours des cinq dernières années.
QUE PEUT-ON FAIRE POUR QUE LES CONGOLAIS PROFITENT DE CETTE MANNE ?
L’une des approches a consisté à mettre en lumière la corruption. Il y a de bonnes raisons à cela : en réponse au discours de Tshisekedi, un porte-parole de la campagne Congo n’est pas à vendre (CNPAV) a rappelé au gouvernement qu’il avait déjà perdu 1,95 milliard de dollars de revenus en raison d’accords douteux avec l’homme d’affaires israélien Dan Gertler et qu’il risquait de perdre encore 1,76 milliard de dollars.
Il semble que CNPVA ait touché un nerf, car une campagne sur les médias sociaux a depuis été lancée contre cette coalition de la société civile. Et cette dernière n’est pas la seule à dénoncer les malversations.
Il y a quelques années, le Centre Carter a estimé que la Gécamines, la plus grande société minière de l’État, n’a même pas comptabilisé 750 millions de dollars de revenus entre 2011 et 2014 ; l’Africa Progress Report, dirigé par Kofi Annan, a estimé qu’entre 2010 et 2012 uniquement, le Congo a perdu 1,36 milliard de dollars dans cinq accords miniers.
Il existe cependant une autre approche, qui se concentre non pas sur les comportements illégaux, mais sur les lois elles-mêmes et sur la structure de l’économie congolaise. Le problème n’est peut-être pas seulement celui des élites corrompues, mais celui de la position du Congo dans le commerce mondial et de la manière dont l’économie congolaise est structurée.
Ces débats remontent aux années 60, lorsque les élites africaines avaient l’intention de faire passer le continent d’un lieu d’extraction à la périphérie de l’économie mondiale à une position plus forte et autonome.
Le président Julius Nyerere a demandé que les minéraux de son pays restent dans le sous-sol jusqu’à ce que la Tanzanie puisse développer ses propres sociétés minières et son expertise ; le président zambien Kenneth Kaunda a essayé – et échoué – à créer un conseil du cuivre, similaire à l’OPEP.
Entre-temps, de nombreux pays africains ont nationalisé leur industrie minière, cherchant à mieux contrôler leurs ressources et à en tirer profit : Mobutu a nationalisé la société belge Union Minière, créant ainsi la Gécamines, et la Zambie, l’Angola, le Nigeria et la Guinée se sont tous dotés de puissantes sociétés minières ou pétrolières nationales.
Cependant, à la fin des années 80, la plupart de ces sociétés minières étaient en sérieux déclin – la production de cuivre de la Gécamines, par exemple, est passée d’environ 400 000 à 500 000 tonnes pendant la majeure partie des années 70 et 80 à seulement 50 000 tonnes en 1992.
Le problème était présenté comme étant l’État corrompu et inefficace ; la solution–suivant les réformes de marché libre du « consensus de Washington » promues par des institutions telles que le Fonds monétaire international, la Banque mondiale et le Trésor américain à partir des années 1980–était la privatisation.
La libéralisation du secteur minier en RDC a commencé dans les dernières années du régime Mobutu, puis s’est accélérée de façon spectaculaire après l’adoption du Code minier de 2002, avec le soutien de la Banque mondiale.
Ce Code visait à créer des conditions de concurrence équitables, où les investisseurs devaient suivre un processus clair et transparent pour obtenir des permis d’exploitation auprès du registre minier. Le gouvernement a fixé des taxes peu élevées pour encourager les investissements étrangers dans cet environnement risqué, en offrant des exonérations fiscales et en permettant aux entreprises de rembourser leurs investissements en capital avant de devoir payer des impôts sur les bénéfices.
ATTIRER LES INVESTISSEURS
Ces mesures ont permis d’attirer les investisseurs – les investissements directs étrangers sont passés de chiffres négatifs pendant la guerre à plus de 4 milliards de dollars par an en 2017. Dans le même temps, le Congo est devenu le plus grand producteur de cuivre d’Afrique et le plus grand producteur de cobalt au monde.
Mais, si les recettes nationales ont explosé, passant de 436 millions de dollars à 3,5 milliards de dollars en 2020, la majeure partie de ce budget (77 % en 2019) sert à payer les salaires, à faire fonctionner les institutions et à assurer le service de la dette.
Et même si environ 120 000 personnes travaillent dans l’exploitation minière industrielle dans le pays, une étude des mines d’or au Sud-Kivu suggère que la plupart de ces emplois ne paient pas mieux qu’un emploi d’extraction artisanale à la pioche dans le secteur informel.
En outre, la tendance à l’automatisation – comme celle de la mine automatisée de Kibali de Barrick Gold dans la province du Haut-Uélé, au nord-est de la RDC – exercera une pression à la baisse sur le potentiel d’emploi futur du secteur.
En d’autres termes, il est possible que, même si la fuite des recettes publiques peut être enrayée, dans les conditions actuelles, l’exploitation minière industrielle ne soit pas en mesure de propulser le Congo vers la prospérité.
Il suffit de considérer le fait que peu de pays pauvres et riches en ressources ont été en mesure d’exploiter les richesses de leur sol au profit d’un développement qui profite à l’ensemble de la population.
Le Nigeria, par exemple, a reçu plus de 30 milliards de dollars de recettes pétrolières par an pendant la majeure partie des deux dernières décennies, mais son taux d’alphabétisation est inférieur et de celui de mortalité infantile supérieur à ceux du Congo ; des statistiques similaires peuvent être présentées pour l’Angola et la Guinée équatoriale, les deuxième et troisième plus grands producteurs de pétrole du continent.
AUTRES CHAMPS DE BATAILLE
Ainsi, en plus de la guerre contre la corruption – un noble combat – plusieurs autres champs de bataille méritent plus d’attention.
Tout d’abord, l’État. L’analyse économique est relativement claire : c’est la combinaison d’institutions fortes, de capital humain et de ressources économiques qui est le moteur du développement. En fait, certains auteurs soutiennent que la condition sine qua non du développement est un État fort et interventionniste.
L’antidote à la pauvreté, selon ces auteurs, est un État fort, capable de protéger et de stimuler les industries naissantes, de former une nouvelle génération d’ingénieurs, d’avocats, de techniciens et d’hommes d’affaires, et de collecter suffisamment de revenus pour financer cette transformation. Presque tous les pays – Malaisie, Botswana, Indonésie et même le Chili, – qui ont réussi à utiliser les ressources naturelles comme levier de développement l’ont fait grâce à une intervention audacieuse de l’État.
Malheureusement, les campagnes anti-corruption dans d’autres pays ont parfois poussé dans la direction opposée : vers la privatisation de l’État, au nom de l’efficacité et de la transparence, ce qui peut finir par vider les institutions de leur substance et se focaliser sur l’arrestation de quelques mauvais éléments plutôt que sur les réformes structurelles.
Deuxièmement, on pourrait détourner l’attention de l’exploitation minière industrielle. Si l’État s’est surtout concentré sur les grandes mines à forte intensité de capital – ce qui est compréhensible puisqu’elles représentent une grande partie de ses revenus – il n’a pas fait grand-chose pour promouvoir le secteur minier artisanal, qui fait vivre plus d’un million de personnes. Ce secteur, aux côtés du secteur agricole, pourrait faire plus pour réduire la pauvreté que l’exploitation minière industrielle, dont les revenus sont largement captés par l’État et les élites. Par exemple, le gouvernement pourrait exiger des investisseurs qu’ils développent leurs concessions minières – il y a des centaines de concessions minières dans le pays qui sont utilisées à des fins de spéculation et ne sont jamais développées – ou qu’ils permettent aux mineurs artisanaux de les exploiter. L’Afrique du Sud a une clause similaire, et la Tanzanie a récemment essayé de redistribuer des terres et de fournir des ressources techniques aux mineurs artisanaux.
Troisièmement, vers une redistribution des ressources entre les provinces. En 2021, le Lualaba, au centre de l’industrie minière, dispose d’un budget provincial proposé 10 fois plus élevé par habitant que la plupart des autres provinces, et son voisin le Haut-Katanga n’est pas loin derrière. Ces inégalités ne feront que s’accentuer avec l’augmentation des revenus miniers, ce qui entraînera des frustrations et des tensions politiques et les débats sur la place du Katanga au sein du Congo. Les rédacteurs de la Constitution de 2006 l’avaient prévu, en créant une caisse de péréquation (article 181) qui est censée redistribuer les revenus des provinces les plus riches aux provinces les plus pauvres.. Cependant, il a fallu dix ans pour faire passer la loi créant cet organe et la caisse n’est toujours pas opérationnelle.
Revenons à Kolwezi : il semble que le président Tshisekedi soit d’accord avec un grand nombre de ces suggestions. En tout cas, le programme proposé par son gouvernement en avril comprend de nombreux objectifs similaires : la création d’une école nationale de formation pour les travailleurs industriels, la transformation des produits agricoles dans le pays, l’octroi de prêts aux petites et moyennes entreprises, la facilitation de l’exploitation minière artisanale.
Le problème, c’est que ce plan comprend 343 actions à entreprendre au cours des deux prochaines années et demie, dont beaucoup sont inscrites au programme du gouvernement depuis des années. Sera-t-il capable d’aller jusqu’au bout cette fois-ci ? Malheureusement, l’opinion nationale semble beaucoup plus préoccupée par l’état de siège récemment déclaré, les remarques désobligeantes de Kagame et les restrictions de Covid-19 ; en dehors de forums isolés, cette question est rarement débattue.
Par JASON STEARNS (SCOPPA / AFP)