Terry He, fraîchement nommé à la tête de la présidence de Huawei Northern Africa, revient dans cet entretien pour La Tribune Afrique sur les défis et les perspectives du géant chinois des TICs dans la région
La Tribune Afrique – La crise pandémique a changé de manière profonde les priorités dans les agendas des décideurs, notamment en termes d’investissement dans les TIC. Pensez-vous que ce changement de paradigme contribuera à l’accélération du développement de l’économie digitale sur le continent africain ?
Terry He : La pandémie de la Covid-19 a indéniablement accéléré la transformation digitale sur le continent africain, même si cette transformation était déjà en cours. En effet, l’Afrique est un continent profondément connecté, où la culture du digital est déjà bien ancrée notamment chez les jeunes générations. On estime en effet selon la GSMA que l’Afrique subsaharienne compte 456 millions d’abonnés mobile, soit un taux de pénétration de 44%. Ce chiffre est en constante évolution.
Les secteurs publics comme privés de la plupart des pays du continent ont ainsi pris conscience que la transition numérique était un impératif et une absolue nécessité face à la crise sanitaire, leur permettant ainsi de mieux appréhender l’avenir et ses défis. Par conséquent, nous observons une tendance à l’accélération de la numérisation de certaines industries, en plus des secteurs habituellement liés aux NTIC. Les innovations numériques touchent et transforment les secteurs tels que la santé, le transport, l’énergie, la finance, l’agriculture ou encore le tourisme. Dans l’agriculture par exemple, la Banque Mondiale estime qu’avec une transformation adéquate du secteur, l’agro-industrie devrait peser 1 trillion de dollars d’ici 2030. Selon le CTA (Centre Technique de Coopération agricole), les solutions liées à la digitalisation devraient représenter un marché de 14 milliards de dollars, avec une estimation de 200 millions d’agriculteurs et fermiers africains susceptibles d’adopter des solutions digitales d’ici 2030.
Le développement de l’économie numérique offrira donc davantage de possibilités sur le continent en terme de création d’emploi et de croissance économique.
Globalement, comment le groupe Huawei participe-t-il au développement de l’économie digitale du continent ?
En tant que leader mondial dans la fourniture de solutions et d’infrastructures de technologies de l’information et de la communication (TIC), Huawei a pour vision de donner accès aux technologies numériques à chaque personne, foyer et organisation. Cette vision d’un monde entièrement connecté et intelligent, nous espérons également la voir se concrétiser en Afrique.
En coopération avec nos partenaires, Huawei fournit aux opérateurs télécom des produits et des solutions de réseau innovants et de pointe, sécurisés et fiables, afin d’accélérer le développement de l’économie numérique dans les pays de la région. Grâce au renforcement de nos infrastructures, nous contribuons à réduire la fracture numérique dans les zones reculées du continent. Par exemple, nous avons déployé notre solution innovante RuralStar en RDC, en Éthiopie, en Guinée et au Cameroun, réduisant considérablement les coûts de construction et de déploiement du réseau dans les zones rurales et permettant de connecter plus de 1000villages et plus de 2 millions de personnes dans la région Huawei Northern Africa.
Ces produits et services sont également proposés aux gouvernements et aux entreprises, avec par exemple des solutions e-gouvernement développées dans plusieurs pays africains.
Aujourd’hui l’Afrique, c’est la plus grande zone de libre-échange au monde, un marché de 1,2 milliard d’individus, une reprise de la croissance en 2021 aux alentours de 3,4% (BAD) et la moitié de sa population qui aura moins de 25 ans en 2050. Les défis sont immenses, mais les possibilités aussi, et tout laisse penser que le potentiel du continent va lui permettre d’être le continent phare du XXIe siècle : abondance des énergies renouvelables, tissu économique composé des TPE/PME de plus en plus résilient, et une jeune génération toujours plus attirée par l’entreprenariat (72%), comme le soulignent Jean-Michel Severino et Jérémy Hajdenberg, co-auteurs du livre Entreprenante Afrique.
Pour promouvoir l’éducation numérique auprès de cette jeune génération, Huawei a ainsi formé plus de 37 000 personnes dans la région d’Afrique du Nordau cours des dernières années, et ce uniquement grâce au programme Huawei ICT Academy. Dans les années à venir, nous continuerons à répondre aux besoins numériques de chaque pays grâce à une série d’initiatives telles que Huawei ICT Academy, ICT Competition, Seeds for the Future et des programmes de coopération nationale comme DigiTruck. Nous prévoyons de former 150 000 personnes au cours des cinq prochaines années avec une série d’initiatives qui correspondent aux stratégies numériques de chaque pays, pour encourager les jeunes Africains à profiter des énormes possibilités qu’offre le digital pour soutenir la croissance économique et le développement de l’Afrique.
L’Afrique du Nord est la région la mieux connectée du continent avec un taux de pénétration de la téléphonie mobile à quelque 70% et un taux de couverture 4G à 83 % en 2020. Comment appréhendez-vous le potentiel digital de cette sous-région au cours des cinq prochaines années ?
Malgré l’impact de la pandémie de la Covid-19 sur cette région, l’Afrique du Nord est une locomotive pour le continent en termes de connectivité. Comme vous l’avez souligné, vous y trouvez les pays les plus connectés d’Afrique, avec l’Algérie et la Tunisie qui présentent les plus forts taux de pénétration du téléphone mobile, et la Tunisie et le Maroc qui ont la meilleure couverture 4G. En termes de formation, cette région est également une mine d’or tant elle regorge de talents numériques. On estime que la Tunisie forme plus de 8 000 ingénieurs en TIC chaque année. L’enjeu pour cette région est de lutter contre la fuite des cerveaux et que cette main-d’œuvre très qualifiée trouve des opportunités professionnelles qui lui permette de rester en Afrique du Nord et de développer l’écosystème digital actuel. C’est un enjeu pour Huawei qui accompagne les États dans leur transformation digitale. Il faut désormais que les réformes législatives et financières accompagnent un nouveau pacte de croissance, tourné vers l’inclusion des femmes et des jeunes, les énergies vertes, la santé, l’éducation, et le digital. Nous serons mobilisés comme partenaire de croissance des Etats de la région qui font ce choix là.
Avec les infrastructures, les ressources humaines restent la pierre angulaire pour le développement de l’économie digitale africaine. Quels sont les programmes initiés dans ce sens par Huawei afin justement de favoriser l’émergence de nouveaux talents spécialisés dans les TIC en Afrique du Nord ?
Nous avons investi très tôt dans l’éducation pour favoriser l’émergence des talents qui seront les acteurs de la révolution numérique de demain, comme à travers le programme Seeds for the Future dans lequel nous sommes engagés depuis 2014, qui permet d’identifier les jeunes talents les plus brillants du continent pour les former ensuite en matière de TIC et de cybersécurité. Nous collaborons depuis 2016 avec des institutions réputées dans plusieurs pays de la région pour mettre en place des académies technologiques et enseigner aux étudiants les connaissances les plus pointues en matière de Routing&Switching, Cloud Computing, IP, IT, 5G, IA, etc. En 2020,face à l’épidémie et à l’arrêt des cours, Huawei a lancé l’initiative Learn ON qui a transformé la Huawei ICT Academy en enseignement à distance. Pour cela nous avons mis en place plus de 260 classes en ligne dans plusieurs pays. Au Sénégal, dans le cadre de la collaboration entre Huawei TECH4ALL et l’UNESCO, nous avons créé DigiSchool, qui propose des équipements et outils numériques ainsi que des formations techniques à plus de 200 enseignants de 60 écoles primaires et secondaires du pays. Cela a bénéficié à 15 000 étudiants.
Nous avons lancé depuis 2016 le concours Huawei ICT Competition pour promouvoir l’apprentissage à travers l’émulation de la compétition. Ces concours ont déjà attiré plus de 50 000 étudiants. L’Algérie, l’Égypte et le Maroc ont remporté le premier ou le deuxième prix lors des dernières finales mondiales.
Nous avons également signé des protocoles d’accord dans la région pour favoriser l’émergence de jeunes talents et participer à l’émergence d’un écosystème TIC solide. Plus récemment, nous avons décidé de soutenir le programme « Women in Africa Young Leaders », avec Dior et la Banque Lazard, qui œuvre à valoriser les entrepreneures africaines. À l’heure où vous publierez ces lignes, 5 jeunes femmes auront été sélectionnées et bénéficieront d’un mentoring, d’un parcours de formation dont le thème sera lié au leadership féminin et aux compétences de demain. Mon souhait le plus profond est de multiplier ces plateformes et ces partenariats pour favoriser l’émergence d’une génération qui s’approprie toutes les possibilités offertes par le digital.
En Afrique, Huawei emploie aujourd’hui quelque 9.000 collaborateurs, dont 81% locaux. Avec le développement actuel de l’écosystème digital, envisagez-vous de nouveaux recrutements sur le court terme dans la sous-région nord-africaine ?
Nous sommes en recrutement constant, car nous croyons en l’Afrique. Comme toute grande entreprise, nous sommes des pourvoyeurs d’emploi majeurs et nous devons montrer l’exemple. Ainsi, en continuant à recruter des locaux, nous permettons aux populations africaines d’être pleinement actrices de leur révolution numérique.
C’est une fierté pour nous d’œuvrer en Afrique et pour l’Afrique ! Huawei a à cœur de valoriser le continent tant dans son recrutement que dans son management. Nos employés sont régulièrement poussés à occuper des postes de direction en Afrique pour monter en compétence. Nous avons beaucoup d’employés dont la carrière s’est développée presque exclusivement chez Huawei.
Nous continuerons à encourager la formation et le développement des talents, et nous continuerons à contribuer à la création d’emplois et à l’accompagnement de la jeune génération africaine. À l’avenir, nous intensifierons nos efforts pour recruter et former des personnes talentueuses dans de nouveaux domaines, notamment dans le cloud et l’IA. Par exemple, nous avons récemment fait appel à un cadre expérimenté dans ce domaine, Mounir Soussi, pour diriger nos activités de cloud et d’IA pour le marché africain.
Vous venez d’être nommé à la tête de Huawei Afrique du Nord. En termes de management, serez-vous dans une logique de continuité par rapport à votre prédécesseur ou plutôt dans une logique de changement ? Et quelles seront vos priorités sur le court terme ?
Avec la pandémie, le monde a évolué en 15 mois plus qu’il ne l’avait fait en 15 ans sur certains secteurs. Donc bien sûr, notre métier évolue, nos pratiques aussi, et il faut savoir épouser le changement. Je dirais même plus : il faut l’encourager ! Mais, quelle que soit l’évolution du contexte, ni nos valeurs fondamentales ni notre politique de placer le client au cœur de notre activité ne changeront. Notre slogan « En Afrique, Pour l’Afrique » restera toujours au cœur de mon action à la présidence de Huawei Northern Africa.
L’analyse que je fais de mes premiers déplacements et mes rencontres sur le continent africain, c’est l’ampleur de la transformation numérique en œuvre. Celle-ci n’est pas seulement orientée vers les secteurs des nouvelles technologies, mais a des impacts dans les secteurs stratégiques de l’économie : l’éducation, la santé, l’énergie, ou encore l’administration. Je suis persuadé que l’économie numérique va révolutionner l’économie traditionnelle. En effet, l’évolution démographique africaine qui sera de 90 % à l’horizon 2050, selon les prévisions de l’ONU, ne peut plus suivre le développement traditionnel. Par conséquent, ma priorité est d’aider les gouvernements africains à accélérer leur transformation numérique et à réduire la fracture numérique grâce aux technologies avancées, à l’expérience et aux solutions innovantes de Huawei. J’espère aider dans un futur proche à la concrétisation d’une Afrique entièrement connectée.
Vous avez cumulé une expérience dans des pays essentiellement tournés vers des partenaires culturellement différents de ceux de l’Afrique du Nord. Est-ce un handicap ou un avantage pour vous en tant que décideur et nouveau président de Huawei Afrique du Nord ?
Le fait d’avoir vécu dans différentes régions et d’avoir connu différents contextes culturels est un avantage, cela nous aide à développer un esprit plus tolérant et plus ouvert.Cela nous aide à avoir une perspective plus large pour évaluer les situations problématiques et y apporter des solutions.
Un poste de direction exige une curiosité naturelle et une forte capacité d’adaptation. Evoluer dans des cultures différentes, tant sur le plan professionnel que personnel, c’est composer avec l’autre et comprendre son état d’esprit. Les relations commerciales sont finalement basées sur les relations humaines. Si vous savez être à l’écoute, vous saurez convaincre votre interlocuteur.
Mais comprendre l’autre, c’est d’abord comprendre son environnement. À mes yeux, l’immersion totale à l’étranger est la meilleure opportunité pour cerner des mentalités différentes. Je suis né en Chine, Huawei m’a donné la chance d’occuper des postes dans de nombreux pays du Moyen-Orient. De chacune de ces expériences uniques des 15 dernières années, uniques par bien des aspects, je retiens l’importance de l’ouverture aux autres. Cette philosophie, acquise par l’expérience, m’accompagne chaque jour pour bâtir des relations solides, de confiance, avec nos partenaires, au Moyen-Orient comme aujourd’hui sur le continent africain. Si chaque pays est unique, les valeurs de tolérance que nous cultivons chez Huawei sont universelles.
En outre, au-delà des différences certaines quant aux cultures et à l’histoire de chaque pays, je suis convaincu que les peuples du monde entier, et cela concerne bien évidemment aussi l’Afrique, sont unis dans leur désir d’une technologie numérique avancée pour une vie meilleure. En cela nous partageons un langage commun et un objectif similaire.
Une politique de ressources humaines chez Huawei place la région Afrique comme « un passage presque obligé » pour pouvoir gravir les échelons au sein du groupe. Pourquoi cette préférence est-elle donnée au continent africain ?
La raison pour laquelle l’Afrique est un « passage presque obligé » pour les managers de Huawei est la suivante : l’environnement commercial sur le continent permet aux employés d’évoluer avec une expérience et des capacités commerciales d’une plus grande envergure. Les employés de Huawei travaillant en Afrique ont la possibilité d’enrichir leurs connaissances et leurs expériences, et comprennent ainsi mieux notre groupe, ses domaines d’expertise et les différents départements qui le structurent. C’est ce que le fondateur et le PDG de Huawei, Ren Zhengfei, préconise pour devenir un « généraliste ». C’est une qualité que l’on doit retrouver chez un bon manager.
Huawei partage une histoire commune avec l’Afrique. Nous sommes implantés sur le continent depuis plus de vingt ans déjà. Il ne s’agit pas d’un opportunisme aveugle, mais d’une relation nourrie sur le long terme, où nous apprenons beaucoup et développons notre expertise au service des populations.
Car l’Afrique est un continent aussi immense qu’il est riche. Riche de cultures comme de potentiel d’avenir : d’ici 2050, la population aura doublé. Une population jeune et dynamique que nous formons déjà à la révolution numérique. Nos investissements sont à la hauteur de nos ambitions : chaque année, nous consacrons plus de 10% – près de 16 % en 2020 – de notre chiffre d’affaires à la Recherche et Développement, pour créer les innovations de demain. Faire disparaître les zones blanches, désenclaver les zones rurales, connecter les villes et régions du continent : autant de défis qui valorisent un parcours professionnel, humain aussi.
L’infinité des possibles est une chance de gagner en compétences et de propulser les carrières. Et c’est avec le plus grand enthousiasme que j’aborde cette nouvelle étape africaine.
Propos recueillis par Mounir El Figuigui (La Tribune Afrique)