Le directeur adjoint du département Afrique du Fonds monétaire international, Roger Nord, assure que les programmes sociaux des Etats pourront être préservés.
C’était il y a quatre mois. Le 23 décembre 2016, les dirigeants des pays de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (Cemac), réunis en sommet à Yaoundé, au Cameroun, décidaient d’en appeler au soutien financier du Fonds monétaire international (FMI).
La morosité ambiante ne laissait plus guère de choix aux économies de cette sous-région de la zone franc, ultra dépendantes de la rente pétrolière : dans le sillage de la chute des cours, leur croissance s’est effondrée, tout comme leurs recettes budgétaires, tandis que les déficits se sont creusés dangereusement.
Le recours à l’institution de Bretton Woods n’allait pourtant pas de soi. Les programmes d’ajustement structurels menés par le FMI dans les années 1980 et 1990 ont laissé des souvenirs douloureux en Afrique subsaharienne. Dans la mémoire collective, ceux-là sont restés synonymes d’austérité et de privatisations à la chaîne. Quelles seront, cette fois, les contreparties exigées en échange de l’aide financière ? Les discussions sur le contenu des programmes sont allées bon train, à l’occasion des traditionnelles réunions de printemps du FMI, qui se tenaient à Washington du mardi 18 au dimanche 23 avril.
Les plans sont en cours de finalisation et les premiers décaissements devraient intervenir avant l’été. Les déficits devront être réduits, mais les programmes sociaux seront préservés, assure le directeur adjoint du département Afrique du FMI, Roger Nord. Trente ans après les douloureux plans d’ajustement structurels menés par le FMI en Afrique, les pays de la Cemac font à nouveau appel au Fonds. La situation était-elle à ce point intenable ?
Roger Nord La plupart des pays dans la zone Cemac sont de grands producteurs de pétrole, et la chute des prix a eu un effet sévère sur leurs économies. Vers la fin de 2016, il s’est avéré qu’il fallait un ajustement des positions budgétaires pour arrêter la chute des réserves de change. Lors du sommet des chefs d’Etat de l’Afrique centrale à Yaoundé le 23 décembre 2016, ils se sont tous déclarés solidaires pour faire face à cette situation et ont décidé de faire appel à nous.
Les discussions ont lieu pays par pays. Mais, avec une Banque centrale, une monnaie et des réserves communes, il est important d’avoir une certaine
cohérence économique régionale. Si un pays continuait à dépenser plus qu’il ne reçoit en recettes et tirait trop sur les réserves communes au moment où d’autres pays font des efforts d’ajustement, cela irait à l’encontre de cet important principe de solidarité.
Va-t-on faire en sorte que la potion, cette fois-ci, soit moins amère ?
Elle sera moins amère pour plusieurs raisons. D’abord, la situation n’est pas la même qu’il y a vingt, trente ans. Les pays sont plus développés, les infrastructures sont meilleures. L’ajustement sera donc moins sévère. Il y aura sans doute besoin de diminuer les dépenses d’investissement public qui étaient très élevées.
Mais nous encourageons les Etats à protéger les dépenses sociales, aussi bien dans l’éducation que dans la santé. On tire tous les leçons du passé, du côté du FMI comme des gouvernements nationaux. L’avantage, aujourd’hui, c’est que ce processus de réforme va se faire alors que l’on dispose encore d’un peu temps. Ceci devrait nous permettre d’éviter les mesures dramatiques qu’on a vues autrefois.
Concrètement, quelles contreparties seront demandées ?
La première, c’est l’ajustement budgétaire. Il faudra que les déficits soient beaucoup moins élevés. Cela suppose des réformes, et notamment un renforcement de l’administration fiscale. Au niveau régional, il faut aussi que la Banque centrale mène une politique monétaire un peu plus serrée et que la commission bancaire renforce ses efforts de supervision.
A long terme, la diversification de la production et des exportations doit être une priorité. C’est important pour les recettes des Etats qui aujourd’hui dépendent beaucoup – et dans certains pays presque exclusivement – du pétrole.
L’option d’une dévaluation du franc CFA a été écartée par les dirigeants. Est-ce le bon choix ?
La décision de ne pas dévaluer est une décision souveraine qui a été prise par les chefs d’Etat, et nous la soutenons. Il faut bien comprendre qu’un ajustement du taux de change injecterait énormément d’incertitudes. Ce n’est pas une solution magique. Cela dit, le choix d’un régime de change fixe vient avec certaines conséquences. L’une d’elles est que les réformes devront se faire au niveau budgétaire.
L’Afrique subsaharienne a connu un très fort ralentissement en 2016. Peut-on s’attendre à un rebond cette année ?
L’Afrique a effectivement enregistré en 2016 son taux de croissance le plus faible depuis une vingtaine d’années, autour de 1,5 %. Mais il y a une énorme hétérogénéité. Le continent se divise globalement en deux groupes : les pays producteurs de produits primaires – notamment de pétrole – et les autres. De grands pays comme le Nigeria, l’Angola et l’Afrique du Sud sont à la peine et pèsent lourdement dans la moyenne. Mais certaines économies continuent à avoir des taux de croissance de 5 % à 7 %, comme l’Ethiopie et la Tanzanie en Afrique de l’Est, le Sénégal et la Côte d’Ivoire en Afrique de l’Ouest.
Nous tablons pour 2017 sur une modeste amélioration grâce, entre autres, à des prix du pétrole qui ont légèrement augmenté. Mais il n’y a pas de changement fondamental. Les pays producteurs de matières premières continuent à avoir des perspectives de croissance beaucoup plus faibles.
Que préconisez-vous pour les pays dont la croissance reste vigoureuse ?
Pour certains d’entre eux comme le Sénégal, la Côte d’Ivoire, les taux de croissance élevés ont été tirés par l’investissement public. Il est important que le secteur privé prenne maintenant le relais. Il faut aussi garder un œil vigilant sur les niveaux d’endettement. Ceux-là restent maîtrisables mais croissent rapidement. Notre conseil est de réduire les déficits budgétaires dans les quelques années qui viennent afin de maintenir la stabilité régionale.
Propos recueillis par Marie de Vergès Le Monde).
LM/CR