Il y a vingt ans, le 10 mai 2001, était adoptée la « loi Taubira », qui reconnaît la traite et l’esclavage comme crime contre l’humanité. Une invitée exceptionnelle pour la journée nationale de commémoration.
Il y a vingt ans, la France adoptait une de ses grandes lois mémorielles, la loi du 21 mai 2001 tendant à la reconnaissance de la traite et de l’esclavage en tant que crime contre l’humanité, dite « loi Taubira », du nom de sa rapporteuse à l’Assemblée, Christiane Taubira, alors députée, élue dans la première circonscription de Guyane.
Depuis 2006, nous commémorons le 10 mai, date d’adoption par le Sénat du texte définitif de la loi, la Journée nationale des mémoires de la traite, de l’esclavage et de leur abolition.
L’adoption d’un tel texte n’a pas été sans combats. L’ancienne ministre de la Justice et Garde des Sceaux Christiane Taubira en sait quelque chose. C’est en 1999, alors qu’elle est députée, qu’elle entame au sein de l’hémicycle, une bataille pour la reconnaissance, aussi portée hors les murs des institutions par une société civile qui n’hésite pas à gagner la rue, comme ce 23 mai 1998, où, à l’occasion du 150ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage dans les colonies françaises, une marche silencieuse réunit 40 000 personnes à Paris pour honorer la mémoire des victimes.
Comme l’élue le disait, la reconnaissance de la traite et de l’esclavage oblige et bouscule. “Nous sommes ici pour dire ce que sont la traite et l’esclavage, pour rappeler que le siècle des Lumières a été marqué par une révolte contre la domination de l’Église, par la revendication des droits de l’homme, par une forte demande de démocratie, mais pour rappeler aussi que, pendant cette période, l’économie de plantation a été si florissante que le commerce triangulaire a connu son rythme maximal entre 1783 et 1791.”
La reconnaissance des faits historiques ne va pas sans changer aussi notre perception de l’actualité. L’exploitation contestée d’une mine d’or en Guyane l’a récemment prouvé.
Et le sujet n’est pas clos, si tant est qu’il pourrait jamais l’être. Reconnaissance et commémoration ne peuvent aller sans poser la question de la réparation. Le débat est encore ouvert à ce propos, comme il l’est au sujet des meilleures manières de rendre hommage aux victimes, d’enseigner cette histoire aux plus jeunes, ou encore de décliner les commémorations en fonction des territoires, dans les villes côtières qui ont bâti leur richesse sur la traite et dans les régions et départements ultramarins qui en paient toujours le prix.
Une loi sur le passé, pour aujourd’hui
Collectivement, on a pris un chemin qui nous oblige à regarder avec courage, ensemble, les effets quotidiens, contemporains du passé et nous définir par rapport à des valeurs. C’est pas juste « on se souvient point barre », c’est quel sens cela peut-il avoir de se souvenir, par rapport à notre vie aujourd’hui, par rapport à la vie de milliers de citoyens ?
La vieille question de la réparation
La question de la réparation a été posée dès les années 1680. Deux modestes cléricaux, Épiphane de Moirans et Francisco de Jaca, deux moines capucins que Louis Sala-Molins a sorti de l’oubli, disent dès cette époque que les maîtres doivent réparation aux esclaves qu’ils ont fait travailler gratuitement. À l’abolition, en 1794, il n’y a pas de discussions sur la réparation. En 1848, la question se pose de nouveau. Mais le lobby des planteurs est très puissant, impose le sujet de l’indemnisation des propriétaires d’esclaves. La logique capitaliste de l’époque prévaut et c’est cette tendance qui l’emporte sur celle de la réparation.
Commémorer Napoléon ?
Concernant Napoléon, il y a un effet de loupe sur son ordonnance de rétablissement de l’esclavage de 1802, mais avant le forfait du rétablissement de l’esclavage, Napoléon a porté un coup de grâce à la révolution française. Le 18 brumaire, c’est un coup d’état. Pour moi les valeurs c’est central. Il ne s’agit pas de gommer Napoléon. Mais, comme pour Colbert, un autre modernisateur de la France, on a le droit d’avoir un regard distancié. La modernisation à la Colbert, mercantiliste, c’est une conception de la modernité particulière. Il ne s’agit pas de les jeter dans les oubliettes de l’histoire, mais on a le droit tout de même de combattre les conceptions qu’ils ont incarné.
Par Guillaume Erner