La Cour internationale de Justice a condamné en 2005 l’Ouganda à indemniser le Congo pour les pertes subies durant l’occupation de son territoire (1997-2003). Kampala temporise toujours et Kinshasa ne fait rien.
Bien que le procureur général d’Ouganda, William Byaruhanga, ait indiqué en janvier dernier que le Congo et l’Ouganda devraient parvenir en ce mois de mars à finaliser le conflit qui les oppose – dans lequel la Cour internationale de Justice de La Haye (CIJ) a donné raison à Kinshasa – aucune date n’a été fixée par la Cour pour déterminer le montant des dédommagements dus par Kampala. L’Ouganda doit, en effet, indemniser son voisin pour les dégâts et pillages commis par son armée au Congo entre 1997 et 2003. Mais, juridiquement, il ne se passe plus rien.
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Me Michel Lion, l’avocat belge qui avait déposé les requêtes pour le Congo en 1999, a déclaré à La Libre Afrique.be qu’il estimait que le Congo avait tout intérêt à relancer l’affaire à La Haye.
Seul l’Ouganda est poursuivi
Contacté fin 1998 par les autorités du régime de Laurent Kabila, Me Lion avait déposé en juin 1999 trois requêtes devant la CIJ, l’organe judiciaire de l’Onu accessible uniquement aux Etats. L’une accusait l’Ouganda, les deux autres le Rwanda et le Burundi, d’agression contre le Congo; elles demandaient que la Cour ordonne le départ sans condition des agresseurs et affirme le droit de Kinshasa de réclamer des dédommagements.
Ni le Burundi, ni le Rwanda ne reconnaissant la juridiction de la CIJ, seul l’Ouganda avait été poursuivi. Ses soldats, arrivés en 1997 au Congo à la demande de Laurent Kabila, n’avaient pas été rappelés à Kampala quand le président congolais avait demandé leur départ, en juillet 1998. Ce n’est qu’en mai 2003 qu’ils étaient rentrés chez eux.
La Cour donne raison au Congo
Le 19 décembre 2005, dans un arrêt “définitif, sans recours et obligatoire” pour les deux Etats, la CIJ avait donné raison au Congo et reconnu le droit de Kinshasa à être dédommagé. De combien? La Cour invitait les deux parties à parvenir à un accord à l’amiable sur ce point. Faute d’accord, un nouveau contentieux devait être ouvert devant la CIJ.
Aucun délai n’avait été fixé pour s’entendre, à la satisfaction de Kampala. Quand, dix ans après son arrêt, le 13 mai 2015, la CIJ annonça une prochaine audience publique sur l’affaire – le plus ancien de ses dossiers en cours – l’Ouganda jugea que cette démarche était “prématurée” (sic).
De son côté, le Congo – alors dirigé par Joseph Kabila – s’illustrait par “une dispute entre le ministre de la Justice, Alexis Thambwé Mwamba, et le principal avocat de la République, Me Tshibangu Kalala, détenteur du dossier« , rappelle Me Lion. « Me Tshibangu prétendait retenir les documents en otage jusqu’à ce que l’Etat paie enfin les honoraires qu’il lui devait. Après un séjour en prison de mon confrère et un arrangement, l’Etat récupéra son dossier« .
Incessants reports: à la demande… des deux Etats
Kinshasa demanda-t-il alors à la Cour de fixer la somme due par Kampala? Pas du tout! La CIJ recula la date limite pour un accord entre les deux Etats à plusieurs reprises, « à chaque fois à la demande des deux parties« , souligne Me Lion.
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La dernière date fixée était du 18 au 22 novembre derniers. Mais, une nouvelle fois, le 13 novembre, les deux Etats ayant demandé conjointement, le 9, un enième report, la CIJ avait décidé de postposer, cette fois sine die, l’audience publique sur les réparations. « Il n’y a donc pas de fixation officielle » d’une date pour déterminer le montant des dédommagements dus par l’Ouganda au Congo, constate l’avocat belge, consterné.
Sans qu’on comprenne pourquoi Kinshasa est resté si longtemps inerte, rien ne s’est passé durant 9 ans. Les deux pays n’ont commencé à discuter du montant des dédommagements qu’en 2014, en Afrique du Sud; mais ils n’ont absolument pas avancé vers un accord.
Quelle somme Kampala doit-il payer?
Côté congolais, on parle le plus souvent de « 10 milliards de dollars« . Côté ougandais, il y a un an, le vice-ministre des Affaires étrangères, Okello Oryem, déclarait au journal « East African » (2 fev. 19) que l’Ouganda refusait de payer.
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Le 16 janvier dernier, William Byaruhanga, procureur général de la République ougandaise, a assuré devant une commission parlementaire à Kampala que Kinshasa avait d’abord demandé « 23 milliards » et que l’Ouganda avait offert « 150 millions de dollars« , proposition que le Congo n’aurait pas encore acceptée. Il ajoutait que l’Ouganda « risquait gros » si l’affaire était renvoyée devant la CIJ.
La logique est donc, pour le Congo, de saisir à nouveau la CIJ pour que ce soit elle qui fixe le montant à payer, estime Me Lion. La démarche n’est pas fréquente mais il y a des précédents, ajoute-t-il.
Des routes au lieu du dédommagement?
La dernière demande conjointe de report de l’audience publique est intervenue alors que le président Félix Tshisekedi venait de rencontrer à Kampala son homologue ougandais, Yoweri Museveni. Les deux hommes avaient ensuite annoncé un projet commun de construction de trois routes dans les deux ans, « pour faciliter le commerce » entre les deux pays: Mpondwe (district de Kasese, ouest de l’Ouganda) – Beni (Nord-Kivu, est du Congo), soit 977 km; Goli (West Nile, nord de l’Ouganda) – Bunia (Ituri, nord-est du Congo), soit 181 km; Bunagana (extrême sud-ouest ougandais, à la frontière avec le Congo) – Rutshuru (Nord-Kivu), soit 24 km. On n’a pas précisé qui financera ces projets.
On parle aussi d’étendre le réseau électrique ougandais à la ville frontalière congolaise d’Aru. Et le 18 février dernier, Kampala a annoncé l’ouverture d’une ligne aérienne directe avec Kinshasa.
Qui peut contraindre Kampala?
Ces projets sont-ils supposés remplacer le dédommagement ougandais au Congo? Que se passerait-il si le Congo abandonnait sa réclamation, a demandé La Libre Afrique.be à Me Lion. « Ce serait préjudiciable pour le Congo« , répond l’avocat. « Si un jour l’Etat congolais voulait revenir sur le sujet, sa position serait difficile. Or, cet argent est destiné à dédommager la population congolaise« .
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Qui peut contraindre Kampala? « Quand la CIJ condamne un pays, celui-ci a intérêt à s’exécuter parce qu’elle est la branche judiciaire de l’Onu. Imaginons qu’un pays, ayant refusé de se soumettre à la condamnation, fasse ensuite appel à l’Onu parce qu’il aurait besoin d’aide; ne lui retorquera-t-on pas qu’il ne respecte pas ses obligations envers l’Onu?« , explique l’avocat.
Que va-t-il se passer maintenant? « C’est un grand point d’interrogation« , répond Me Lion. « Le Congo a intérêt à relancer l’affaire. C’est l’intérêt du peuple congolais de voir statuer sur ces dommages. Les morts restent morts mais, pour le principe, il faut qu’un dédommagement soit prévu« .
Par Marie-France Cros (La Libre Afrique, publié le 14 mars 2020)