Entrepreneurs et gouvernement de RD Congo entendent s’adresser directement aux diasporas. Les incitations et facilités se multiplient pour faire venir au pays leurs investissements attendus de longue date dans les PME.
« Pourquoi parler à la diaspora maintenant ? » De grandes ressources en capital humain et financier existent à l’étranger mais il n’y a rien d’évident à ce qu’elles prennent le chemin de la RD Congo. La diaspora congolaise, nombreuse de 2 à 7 millions d’expatriés selon les estimations, s’établit entre la Belgique, sa destination principale, la France, l’Angleterre, les Pays-Bas et les États-Unis. Elle contribue par des envois d’argent (remittances), principalement au bénéfice des ménages, 2 milliards de dollars par an qui représentaient en 2019 plus de 4% du PIB, selon la Banque mondiale. En comparaison, le budget de l’État s’élève à 11 milliards $. Réseaux d’entrepreneurs et acteurs publics s’organisent pour convaincre les expatriés de réorienter leurs envois d’argent vers le privé.
« Il faut chercher la bonne information à la source : la loi. Or peu de contribuables s’adressent à nos services de communication et se contentent de ce que raconte la famille ou les gens du quartier. »
Le défi s’incarne dans l’événement « Level Up », dédié à l’investissement dans les PME et les PMI, qui s’est tenu le 21 mai à Bruxelles. Makutano, groupe d’influence « pour les relations avec les institutionnels privés, publics et les entrepreneurs de toute la sous-région », se donne pour mission d’attirer « au pays » créations d’entreprises et prises de participation. S’il s’adresse à la diaspora en Belgique, c’est que le réseau de 600 chefs d’entreprise y a trouvé son point d’entrée global.
Nicole Sulu, fondatrice de Makutano
« Il faut commencer par Bruxelles pour parler à la diaspora congolaise. Les institutions européennes font que nous savons que la ville est une plateforme pour mobiliser la diaspora des autres pays du continent européen », résume la dirigeante d’entreprise et fondatrice de Makutano, Nicole Sulu. L’événement trouve sa marraine en l’Échevine de Bruxelles, Lydia Mutyebele, née à Lubumbashi et bruxelloise depuis l’âge de six ans, « première femme sub-saharienne a avoir accédé à un tel mandat ici ». Ayant fait partie de la mission économique belge à Kinshasa, elle entend l’idée de « donner des clés aux entrepreneurs en RD Congo depuis la Belgique ».
« Canaliser les flux financiers vers l’entrepreneuriat et les investissements », et pour cela prôner une initiative privée pour que « cela puisse changer pour les générations futures3, comme le souhaite Jean-Thomas Mayaka, directeur de MKWS. Mieux, « prendre en main le développement de notre cher continent », pour cet autre membre de Makutano, Célestin Mukeba, directeur général de Equity BDDC. Car il n’est pas encore question de parler de retour au pays et de devenir « repat » à un public conscient d’avoir « le confort en Europe ». Nicole Sulu compte plutôt sur la force du sentiment national : « L’investisseur lambda fera moins vite le choix que celui de la diaspora, plus apte, plus souple, attaché à son pays d’origine, même. »
Pour achever de convaincre, l’État congolais se joint à cette plateforme d’entrepreneurs via l’ANAPI (Agence nationale de promotion des investissements), qui a conclu un partenariat institutionnel avec Makutano. Représentée par son directeur général Anthony Nkinzo, l’Agence fait connaître des mesures favorables aux investisseurs de l’étranger dans le but de mieux allouer les flux financiers. « Les diasporas affectent-elles correctement cet argent? Elles envoient aux membres de la famille qui veulent entreprendre, élever leurs enfants, payer leurs frais de santé », rappelle-t-il. Anthony Nkinzo cite la loi sur l’entrepreneuriat qui sera adoptée cette année et qui s’articule avec les investissements potentiels.
Le texte ouvre des possibilités d’amnistie pour les PME et PMI informelles (70 % à 80 % de l’économie nationale) « pour les faire entrer dans le secteur formel et leur permettre d’être éligibles à certains marchés ». Cette année, l’ANAPI projette que loi favorisera la formalisation de 10 000 sociétés aux guichets de création d’entreprise. Pour aller plus loin, la DGI (Direction générale des impôts) porte pour sa part une réforme qui décline une « fiscalité particulière » pour les investisseurs selon la taille de l’entreprise concernée. Destinés à des expatriés encore peu sensibilisés au sujet, ces efforts conjoints réveillent certaines craintes et interrogations.
Les invités à Level UpMakutano s’inquiètent de longue date de l’effet d’éviction généré par les sociétés détenues en RD Congo par des ressortissants des pays du Maghreb, du Liban… ou de Belgique. Le risque pour les fonds investis est aussi perçu comme élevé par la diaspora, qui a l’impression que Makutano est assez high level et met en avant des entreprises rentables sans parler assez aux petits commerçants, aux maraîchères, pour leur donner l’information. Déléguée à la DGI, Godelive-Elisabeth Lonji renvoie à la racine du problème, selon elle la profusion de fausses informations administratives. « Il faut chercher la bonne information à la source : la loi. Or peu de contribuables s’adressent à nos services de communication et se contentent de ce que raconte la famille ou les gens du quartier. »
Trois questions à Anthony Nkinzo, directeur général de l’ANAPI
Quel est le sens de votre présence aux côtés de Makutano et l’alignement possible de vos objectifs et des siens ?
Par ma présence, je souhaite délivrer le message au privé en faveur du partenariat public-privé. Nous approchons la personne qui se pose la question de savoir comment faire et lui montrons que l’autorité publique est accessible. Nous ne sommes pas dans une tour d’ivoire et attendons de Level Up que la vraie information soit donnée. En matière de créations d’entreprises, de lois existantes comme de réformes à opérer et de vision pour le pays. C’est pour cela que nous sommes avec Makutano par un partenariat institutionnel. L’État peut accompagner et il ne laisse pas de côté le secteur privé.
Anthony Nkinzo (ANAPI), à la tribune
Quel est le but de l’appel que vous lancez aux entrepreneurs de la diaspora à investir plus massivement en RD Congo, au regard des secteurs et régions qui en ont le plus besoin ?
Tout le pays en a besoin ! Tout est disponible et prenable, dans chaque province. Certes, le Plan sectoriel de développement fait certains focus, mais les nouvelles provinces sont celles où nous devons placer l’administration et les structures pour qu’elles puissent se développer. Celle de Mai-Ndombe, démembrement du Bandundu, a des secteurs de la pêche et de l’agriculture extrêmement importants. Tout est question d’opportunité sectorielle. Certaines provinces l’ont par l’énergie, d’autres l’industrie ou le minier.
Nous disons aujourd’hui à la diaspora : Venez dans le tourisme, le transport en commun, le catering, la boulangerie, le conseil, les ressources humaines… Le cadre juridique où elle se trouvera est en train de prendre de l’ampleur. La loi sur l’entrepreneuriat donnera aux micro-entreprises et aux start-up un accompagnement, un cadre et un accès au Fonds de garantie de l’entrepreneuriat.
L’industrialisation du pays est toujours indiquée comme une priorité du gouvernement. Est-il possible d’intéresser les diasporas à ce secteur, en particulier par les zones économiques spéciales ?
Les GIZ (Groupements d’intérêt économiques) permettent à la diaspora de s’assembler en sociétés qui oeuvrent soit comme l’opérateur d’une zone économique soit comme son aménageur. Tout dépend de l’appétit et de la capacité financière de la diaspora à se constituer en co-entreprise pour investir. Les ZES ne sont pas des concepts qui excluent la diaspora car, en dessous, des structures permettent de leur fournir les services et les biens dont elle a besoin.
Jean-Thomas Mayaka, directeur de MKWS, société de management commercial, sportif et artistique.
Célestin Mukeba, DG de Equity BCDC
Godelive-Elisabeth Lonji, déléguée du directeur-général des Impôts, ministère des Financesde RD Congo
Les organisateurs de Level Up Makutano, au centre, la marraine de l’événement l’Échevine de Bruxelles Lydia Mutyebele.
L’Échevine de Bruxelles prend la parole en compagnie des organisateurs de Level Up by Makutano
De gauche à droite, Jean-Thomas Mayaka, Nicole Sulu, Lydia Muyebele, Célestin Mukeba, Godelive-Elisabeth Lonji, Anthony Nkinzo.
Par Nicolas Bouchet (Le Magazine de l’Afrique)