Le 25 novembre 2019 à Beni, dans l’Est de la République démocratique du Congo, les habitants incendient un bâtiment de la MONUSCO, la mission onusienne accusée de passivité face à la rébellion des ADF.
Dans l’Est de la République démocratique du Congo, la région de Beni est en proie aux massacres imputés aux ADF. Originaire d’Ouganda, la rébellion est présente au Congo depuis 25 ans. Où trouve-t-elle racine ? Pourquoi se bat-elle ? Quid de son allégeance au groupe Etat islamique ?
De lointaines origines… en Inde !
C’est en Inde au début du XXe siècle que se niche la préhistoire de la rébellion ADF, Allied Democratic Forces.
Dans un rapport publié en novembre 2018, le Groupe d’étude sur le Congo (GEC) rapporte que ses premiers membres appartenaient à la secte Tabligh, née dans une Inde sous domination britannique. “A sa création, explique le GEC, il s’agissait d’un mouvement conservateur (…) dont l’objectif était de raviver les valeurs et les pratiques de l’islam en mettant l’accent sur les activités missionnaires”. Si la communauté est généralement opposée à “la brutalité des groupes djihadistes”, certains de ses membres basculeront néanmoins dans la violence.
Particularité en Ouganda, précise le GEC, “la secte tabligh est parfois également associée à un courant salafiste de la communauté musulmane locale, ce qui n’est pas nécessairement le cas ailleurs”.
Dans le pays, le mouvement reçoit l’aide financière de l’Arabie saoudite après la chute du dictateur Idi Amin Dada en 1979.
Son chef, Jamil Mukulu est né chrétien. Après sa conversion à l’islam, il part d’ailleurs étudier à Riyad et en revient “avec une vision militante de l’islam”. Les déchirements au sein de la communauté musulmane ougandaise conduiront Jamil Mukulu en prison où il rencontrera des déserteurs de l’armée qui constitueront le commandement des futures ADF.
Soutenu par le Soudan d’Omar el Béchir, Mukulu s’enfuit au Kenya en 1994 tandis qu’un autre dirigeant de son mouvement, Yusuf Kabanda, part vers l’Est du Congo où il s’allie avec la NALU, un groupe rebelle laïc ougandais.
Les ADF-NALU oeuvrent alors pour Mobutu contre un ennemi commun, le président ougandais, Yoweri Museveni. A la chute du maréchal, provoquée en partie par l’Ouganda, les ADF-NALU trouveront refuge autour de Beni et s’y installeront durablement.
Les ADF sont-ils toujours une rébellion ougandaise ?
Oui et non, explique en substance Trésor Kibangula, journaliste et expert auprès du GEC : “Les officiers et commandants qui dirigent les ADF aujourd’hui sont ougandais donc, de ce point de vue, il s’agit toujours d’une rébellion ougandaise, d’un groupe armé étranger, non Congolais. Le mouvement est présent sur le territoire congolais depuis 1995 mais au fil des années, il a perdu cette connotation de “rébellion ougandaise”. D’ailleurs, sa branche NALU, dont la vocation était de libérer l’Ouganda du régime de Yoweri Museveni a complètement disparu en 2007 lorsque ses hommes se sont rendus. Il n’est, à ce titre, aujourd’hui, plus approprié de parler d’ADF-NALU”.
En un quart de siècle, au delà de l’implantation territoriale, les ADF (qui comptent aujourd’hui entre 600 et 1500 hommes) ont eu le temps de construire des réseaux : “elles sont parvenues à tisser des liens avec des groupes Maï Maï locaux. Les ADF se cachent dans plusieurs villages de brousse de ce territoire de Beni et, sur place, elles exploitent à la fois le bois et des minerais. Plusieurs rapports des Nations unies ont également montré des rapprochements avec des officiers des FARDC, l’armée congolaise, d’ailleurs avant le début de l’offensive en cours, le pouvoir à Kinshasa a été obligé de changer les commandants de l’armée soupçonnés de connivence avec les ADF”.
Le djihad en République démocratique du Congo ?
“Le mouvement se revendique comme islamique et s’est radicalisé après l’arrestation de Jamil Mukulu en 2015 en Tanzanie, explique Trésor Kibangula. Makulu était le leader des ADF. Il a été remplacé par Musa Baluku qui a été l’auteur des rapprochements entre ADF et groupe Etat islamique notamment pour essayer de renforcer son pouvoir qui était un peu contesté en interne. Il s’agissait de gagner en notoriété. Récemment, certaines attaques, même minimes des ADF, ont été revendiquées par l’EI. Mais on ne peut pas, pour autant, le comparer avec Boko Haram qui agit dans une zone majoritairement musulmane, contrairement à la zone d’action des ADF où les gens sont essentiellement animistes ou chrétiens. Les ADF ne sont donc pas dans une logique de conversion des populations”.
Par Matthieu Vendrely (TV5MONDE-28.11.2019)