Patrick de Saint-Exupéry affirme n’avoir pas trouvé trace de ce « deuxième génocide », qui aurait touché les 200.000 Hutu ayant fui le Rwanda vers le Zaïre de l’époque, après le génocide de 1994 – quelque 800.000 morts en trois mois, essentiellement au sein de la minorité tutsi, selon l’ONU.
« Et soudain, à la veille de la commémoration du 27ème anniversaire des massacres interethniques à grande échelle qui ont secoué le Rwanda dans la foulée de la prise du pouvoir du Front patriotique rwandais (FPR, dominé par les Tutsi, ndlr) en 1994, il (l’auteur) sort un livre qui résonne comme une provocation à l’égard des millions de morts congolais assassinés au cours des 20 dernières années par les incursions répétitives des troupes rwandaises à l’intérieur des frontières de la RDC », affirment les signataires de cette lettre ouverte publiée par le journal kinois ‘La Prospérité’
« En qualifiant le Rapport Mapping (rédigé en 2010 et documentant des violations des droits de l’homme commises en RDC de 1993 à 2003) de négationniste, l’auteur nie, minimise et méprise les victimes innocentes de l’armée de Kigali en RDC », soulignent ces 28 personnalités vivant au pays mais aussi à l’étranger et notamment en Belgique.
Ce rapport Mapping a été publié en 2010 par l’ONU. Pas moins de 617 événements sont répertoriés et 1.280 témoins ont été interrogés. Le rapport stipule que « les attaques en apparence systématiques et généralisées décrites dans le présent rapport révèlent plusieurs éléments accablants qui, s’ils sont prouvés devant un tribunal compétent, pourraient être qualifiés de crimes de génocide. » Il ajoute que d’autres éléments indiqueraient au contraire qu’il n’y a pas eu de génocide. Il demande donc « une enquête judiciaire complète » pour trancher la question. Elle n’a toutefois jamais eu lieu.
Patrick de Saint-Exupéry affirme à plusieurs reprises au long de ces 300 pages que pour lui ce rapport est « biaisé ». « Il racontait une guerre avec le vocabulaire de l’extermination », écrit-il – en faisant souvent preuve d’approximations, selon ses détracteurs.
« Peut-on mettre dans la balance les quelques témoignages qu’il a recueillis dans une dizaine de localités congolaises et les 1 280 témoins du rapport Mapping des 20 enquêteurs onusiens? », se demandait ainsi récemment la chaîne de télévision France24.
EN LIBRAIRIE : IL N’Y PAS EU DE DEUXIÈME GÉNOCIDE RWANDAIS
Ancien grand reporter au Figaro, fondateur de la revue “XXI”, Patrick de Saint-Exupéry a écrit plusieurs livres sur une tragédie qui l’a marqué, le génocide des Tutsis au Rwanda en 1994, et surtout sur le rôle qu’y a joué la France.
Comme pour les génocides arménien et juif, les personnes qui y ont collaboré ou l’ont approuvé ou justifié n’ont eu de cesse de le nier, ou d’affirmer qu’il était le fait … des Tutsis eux-mêmes, ou encore d’assurer qu’il y en avait eu deux, comme si un crime effaçait l’autre.
Le “deuxième” aurait été celui des Hutus par les Tutsis, en représailles.
La rumeur en avait été lancée par le président François Mitterrand, profondément impliqué dans le crime des crimes, celui pour lequel il n’y a pas de prescription.
Cette thèse a ensuite été largement reprise par les milieux génocidaires et leurs appuis.
Patrick de Saint-Exupéry a donc décidé de chercher les traces de ce “deuxième génocide”, qui aurait eu lieu en 1996-97 au Zaïre de Mobutu, lorsque l’armée rwandaise issue de la rébellion tutsie du FPR (Front patriotique rwandais, au pouvoir aujourd’hui) décida de disperser les camps de réfugiés hutus dans le pays voisin, assez proches de la frontière pour que l’armée et la milice génocidaires, qui y commandaient, puissent lancer des attaques meurtrières contre le Rwanda.
Le FPR était accompagné par les rebelles congolais de l’AFDL, présidée par Laurent Kabila, décidés à chasser Mobutu du pouvoir.
Pour chercher ces traces, le reporter a lui-même traversé la grande forêt équatoriale, comme quelque 200.000 Hutus en fuite et “disparus” selon les accusateurs.
Il s’agissait de militaires et miliciens génocidaires, qui emmenèrent des dizaines de milliers de civils dans leur fuite éperdue devant leurs vainqueurs.
Interrogeant des témoins de l’époque tout au long de sa traversée de la grande forêt – en hélicoptère, à moto, en train, en bateau fluvial, à pied – ainsi que des survivants de cette odyssée et des rapports d’ONG soutenant les accusations, Saint-Exupéry n’a pas trouvé trace de ce “deuxième génocide”.
Un génocide suppose des morts mais, surtout, l’intention d’éliminer un groupe humain bien défini. Rien de cela ici. Mais, oui, il y a eu des massacres (au “km 41” du chemin de fer entre Kisangani et Ubundu; à Mbandaka); des fuyards hutus tués par les paysans congolais qu’ils attaquaient pour leur voler de quoi manger (entre Walikale et Lubutu); beaucoup de morts de faim et de maladie, abandonnés à leur sort par leurs notables – qui fuient de leur côté en avion – (Tingi Tingi, Kisangani); des morts dans le pillage et la panique (Lubutu); dans des combats entre génocidaires et armée mobutiste en fuite d’une part, et FPR/AFDL d’autre part (Watsa, Bafwaboli); noyés par dizaines dans la panique pour être le premier à traverser le fleuve avant leurs poursuivants (Ubundu).
Il y a aussi beaucoup de militaires et miliciens génocidaires retournés sur leurs pas vers le Kivu, où ils sèment la mort jusqu’à aujourd’hui, ou passés au Congo-Brazzaville et en Centrafrique. Ou restés à Mbandaka, où ils se sont fondus dans la population. Et beaucoup ont été rapatriés en avion depuis Mbandaka par un pont aérien qui a duré “des mois”.
“Finalement les faits qui démontrent que les troupes de la rébellion congolaise et de l’armée de Paul Kagame ont épargné la vie et même facilité le retour au Rwanda d’un grand nombre de réfugiés hutus plaident à l’encontre de l’établissement d’une intention claire de détruire le groupe”, notera le Rapport Mapping (2010).
Si le récit de l’auteur pêche par quelques petites erreurs sur le Congo, sa belle plume fait merveille pour décrire lieux et gens et donner une saisissante carte postale du nord du Congo aujourd’hui, souvent livré à lui-même.
On notera au passage un intéressant entretien avec l’ex-chef de l’armée rwandaise, James Kabarebe, au sujet des premiers pas d’homme public de Joseph Kabila.
Par La Libre Afrique/Belga/Marie-France Cros