Le président Félix Tshisekedi souhaite que soient renégociés les accords conclus entre sociétés d’État et opérateurs étrangers, notamment chinois.
En visite dans le sud de la République démocratique du Congo (RDC), le président Félix Tshisekedi a annoncé à la mi-mai 2021 son intention de « réajuster » les contrats miniers signés sous son prédécesseur, Joseph Kabila. Il a fustigé « ces investisseurs (…) qui viennent les poches vides et repartent milliardaires », tandis que la majorité de la population « croupit toujours dans la misère ». Mais, pour Jean-Pierre Okenda, directeur du département industries extractives au sein de l’ONG Resource Matters, la faute ne repose pas seulement sur les épaules des opérateurs étrangers.
Sur quelles bases ont été négociés les contrats mis en cause par le président Tshisekedi ?
Le problème remonte au début des années 2000. Sorti exsangue des deux guerres du Congo [1996-1997 puis 1998-2003], l’Etat est alors au bord de la faillite. Pour favoriser les investissements étrangers et permettre aux sociétés nationales de se développer après des décennies de mauvaise gestion, le secteur des mines est libéralisé. De nombreux contrats de coentreprises, ou « joint-venture », sont signés, à cette époque, entre des entreprises minières d’Etat et des opérateurs étrangers. Mais ces partenariats se révèlent vite très déséquilibrés.Lire aussi Accusé de corruption, Dan Gertler s’engage à « partager » avec ses « frères et sœurs » congolais
Faute de moyens financiers, les sociétés congolaises comme la Gécamines [la principale entreprise minière, fondée pour exploiter le cuivre de l’ex-Katanga], se retrouvent minoritaires dans les joint-ventures. Certaines redevances ou royalties sont même reversées aux investisseurs étrangers, alors qu’elles devraient revenir au trésor public. Albert Yuma, le président de la Gécamines, par ailleurs à la tête du patronat congolais, est lui-même accusé d’avoir signé des contrats impliquant des cessions de redevances ou des cessions d’actifs violant le code minier…
Le chef de l’Etat a accusé les opérateurs étrangers de se « remplir les poches ». Sont-ils les seuls responsables de la situation ?
Non et je dirais même que ce sont les entreprises congolaises qui sont au cœur du problème. Après tout, ce sont elles qui sont censées gérer le portefeuille minier pour le compte de l’Etat. Or, lorsque des contrats sont signés, la valeur des actifs est systématiquement sous-estimée. Il y a en permanence des soupçons de corruption. La gestion des revenus est, à ce point, catastrophique que certaines sociétés congolaises sont aujourd’hui dans l’incapacité de payer leurs taxes et de verser les salaires.
Les contrats signés avec les entreprises chinoises sous Joseph Kabila semblent particulièrement pointés du doigt. Pourquoi ?
Prenons le cas de la joint-venture Sicomines, conclue entre la Gécamines et plusieurs sociétés chinoises : le projet bénéficie d’une exonération fiscale et douanière et de facilités administratives totales. Même les visas des travailleurs chinois sont offerts ! En échange, les entreprises chinoises ont ouvert une ligne de crédit de plusieurs milliards de dollars à la RDC pour construire des infrastructures. Les exonérations qui leur ont été accordées sont censées permettre d’accélérer le remboursement de ce crédit, en plus des profits générés par la production minière. Mais il y a un manque total de transparence sur cet accord : on ne sait même pas si les réserves minières suffiront à rembourser le prêt chinois. On n’a aucune idée non plus du calendrier de remboursement. Il n’y a pas de suivi indépendant, pas de contrôle parlementaire.Lire aussi RDC : Gécamines, un cadavre minier qui bouge encore
La révision des contrats miniers peut-elle permettre d’améliorer les conditions de vie des Congolais ?
Je ne crois pas. C’est, certes, un premier pas, mais les contrats apportent de l’argent aux sociétés d’Etat et non directement au budget de l’Etat. Pour que ces revenus profitent davantage à la population, il faudrait revoir toute la gouvernance du secteur et développer une approche plus holistique. Par exemple, il serait bon que les miniers se procurent sur place une part plus importante des biens et services dont ils ont besoin. Cela se fait au Ghana : en 2019, les entreprises minières ont acheté 70 % des biens et services localement. En RDC, c’est un aspect négligé par le code minier.
Le FMI a demandé à la RDC d’instaurer plus de transparence dans le secteur minier, en préalable aux négociations sur un prochain programme d’aide. Cela peut-il peser sur les réformes à venir ?
Le FMI a raison d’inciter à davantage de contrôles, mais il y a du travail… En ce qui concerne les contrats miniers, il faudrait au moins que l’agenda des renégociations soit connu, ainsi que le nombre de contrats concernés, l’objectif visé et l’identité des négociateurs.
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Pour le reste, l’opacité est totale. On n’a même pas accès aux rapports annuels des entreprises d’Etat, ou à leurs bilans financiers. Pourtant, ça se fait ailleurs : en Zambie, ou en Côte d’Ivoire par exemple. Ici, on régresse sur la transparence. L’ONG américaine Natural Resource Governance Institute classe toujours la RDC et les entreprises étatiques dans la catégorie « mauvaise gouvernance » ou « gouvernance défaillante »
Propos recueillis par Juliette Dubois(Le Monde, Kinshasa, correspondance)