
Cuivre, lithium, nickel ou cobalt… Lequel de ces métaux sera essentiel pour le monde décarboné de demain ? Peu importe, car le plus important pour la République démocratique du Congo est de tirer le meilleur parti de ses richesses minérales exceptionnelles. Quelle politique pour y parvenir ? Rendre le cadre réglementaire et fiscal plus attractif, renforcer la capacité institutionnelle de l’administration des mines pour mieux encadrer le secteur, suivre les évolutions technologiques et géopolitiques, ajuster la stratégie minière en fonction de la demande et miser sur la transformation pour rendre la RDC moins dépendante des aléas des cours ?
Autant de questions qu’aborde Louis Watum, le président de la Chambre des Mines de la RDC, dans l’entretien qu’il a accordé à Makanisi.

Makanisi : Selon vous, la demande de cobalt est une bulle qui va éclater quand les nouvelles technologies de batteries réduiront les besoins de ce métal. Quelles sont ces nouvelles technologies ?
Louis Watum : Ces nouvelles technologies remplacent le cobalt par d’autres métaux, notamment une combinaison chimique faite de lithium, de nickel, de cobalt et d’oxyde d’aluminium, dans laquelle la quantité de cobalt utilisée est réduite de près de 80% au profit du nickel et du lithium. Le but des recherches actuelles est de consommer moins de cobalt au profit de combinaisons d’autres métaux tels que le nickel et le lithium.
Le but des recherches actuelles est de consommer moins de cobalt au profit de combinaisons d’autres métaux tels que le nickel et le lithium.
Le lithium pourrait-il prendre plus d’importance dans la composition des batteries ?
L.W. : Oui, le lithium pourrait prendre plus d’importance dans la composition des batteries de nouvelle génération. Mais la recherche continue, qui pourrait trouver d’autres produits. On parle de lithium, mais aussi de nickel et même de cathode d’aluminium. Plusieurs métaux sont testés. Aujourd’hui c’est le lithium, mais demain, cela pourrait être d’autres combinaisons.
Le cobalt a-t-il quand même de l’avenir dans les cinq à dix ans ?
L.W. : Cinq ou dix ans, c’est très peu de temps dans les cycles et les supercycles des produits de base miniers. Il faut seulement que l’on se rende compte que l’on n’aura pas de prix à 100 000 dollars la tonne ou plus, dans les années à venir. Le cobalt continuera à se vendre pendant de nombreuses années certes, mais pas au prix spéculatif qu’il a connu autrefois. C’est au gouvernement d’anticiper, la question étant de savoir comment maximiser les recettes de l’État ainsi que leur utilisation, et continuer à attirer des investissements dans ce secteur.
La géopolitique du monde évolue. Il faut donc en permanence réajuster ses choix stratégiques. Le cobalt entre dans ce cas de figure. Il va finir un jour.
Peut-on affirmer dans ces conditions qu’un métal est stratégique ? N’est-ce pas plus compliqué que cela ?
L.W. : Chacun est libre de déclarer ce qu’il considère comme stratégique, en fonction de sa vision. Si l’État congolais a déclaré un métal stratégique, c’est en fonction de sa vision. Mais il faut observer l’évolution du marché et voir où l’on va. Aujourd’hui, l’uranium n’est plus aussi stratégique qu’il l’a été. Les centrales nucléaires ne sont plus à la mode. Son usage est militaire et restreint à des accords entre des blocs géostratégiques. La géopolitique du monde évolue. Il faut donc en permanence réajuster ses choix stratégiques. Le cobalt entre dans ce cas de figure. Il va finir un jour. Actuellement, les fabricants et les consommateurs finaux de cobalt cherchent des alternatives pour pallier les risques d’interruption de l’approvisionnement ainsi que le risque réputationnel lié au travail des enfants dans les mines artisanales.
Quelle stratégie doit adopter la RDC pour faire face à ces évolutions ?
L.W. : Là est la question fondamentale qui s’applique à tous les métaux. Comment la RDC peut-elle tirer le meilleur profit de ses richesses minérales exceptionnelles ? Il faut commencer par rendre le cadre réglementaire transparent, stable et rassurant pour attirer les investisseurs. Pour développer ces mines qui donneront un jour du lithium, du nickel et d’autres métaux, il faut d’abord les découvrir, c’est-à-dire investir dans la recherche et l’exploration, pour identifier des gisements et les développer en mines plus tard. Outre un cadre réglementaire et un régime fiscal attractif, il faut une capacité institutionnelle pour administrer le secteur et un encadrement effectif de l’administration des mines pour assurer aux investisseurs les conditions optimales d’investissement.
Outre un cadre réglementaire et un régime fiscal attractif, il faut une capacité institutionnelle pour administrer le secteur et un encadrement effectif de l’administration des mines
Prenons le cas d’Ivanhoe, qui a découvert un district minier. Il a fallu 24 ans de dur labeur pour y parvenir. Ce fut un parcours de combattant qui s’est révélé payant. Tout cela pour dire que l’État doit accompagner le secteur et mettre en place un cadre et des politiques attractives si la RDC veut tirer profit de ses métaux. La RDC doit aller plus loin et réfléchir à l’aval. On doit envisager une intégration verticale, transformer le plus possible ce qui sort de notre sous-sol jusqu’à arriver à un produit semi-fini ou fini que l’on peut exporter. Cela créera de la valeur ajoutée, plus d’emplois et de revenus au pays. C’est ce qu’il faut pour le développement d’un pays.
Cela signifie-t-il que certains points du code minier 2018 seraient à revoir ?
L.W. : Je ne pense pas que l’on doive revoir le code minier sur le fond. Mais il y a des aspects qui posent problème dans leur exécution et qui ont des implications pour les investisseurs. Dans ce cas, il faut que l’industrie minière et l’État s’assoient autour d’une table pour discuter, améliorer ce qui doit l’être et trouver un juste milieu. Après trois ans d’application du code minier, il serait temps qu’on examine ce qui fait débat et qu’on procède à des réglages. Cela ne veut pas dire que l’on remet en cause le code. Parmi les points à débattre, on peut citer la stabilité du cadre juridique, qui était assurée dans le code précédent, la question du rapatriement de 60% des recettes d’exportation et des crédits TVA. Quand les compagnies minières perdent, l’État, au travers de ses sociétés étatiques et para-étatiques, perd lui aussi.
Après trois ans d’application du code minier, il serait temps qu’on examine ce qui fait débat et qu’on procède à des réglages. Cela ne veut pas dire que l’on remet en cause le code.
Vous avez souligné la hausse de la demande de cuivre en rapport avec le développement des infrastructures. Quels en seraient les principaux usages ?
L.W. : La hausse de la demande de cuivre est souvent attribuée à l’essor des voitures électriques. C’est vrai, mais le cuivre sera très consommé car il fait partie des infrastructures vertes. L’énergie verte est produite par les centrales hydroélectriques et solaires. Mais il faut transporter cette énergie vers les centres de consommation et la distribuer. Le cuivre est le métal par excellence pour ce transport. Ce sont ces usages qui font du cuivre, un métal très important. Dans la plupart des pays du monde, les infrastructures ont vieilli. Leur renouvellement impose d’énormes quantités de cuivre.
La hausse de la demande de cuivre est souvent attribuée à l’essor des voitures électriques. C’est vrai, mais le cuivre sera très consommé car il fait partie des infrastructures vertes.
Par ailleurs, la plupart des États africains sont en train de tomber sous le diktat de la route de la soie. Cela va se traduire par des infrastructures à ériger en chemins de fer, en centrales produisant de l’énergie pour exploiter les richesses naturelles dont la Chine et d’autres pays ont besoin. Cela va demander beaucoup de cuivre. La demande va monter en flèche. Mais il y aura un grand déficit. Les grands pays producteurs du cuivre tels que le Chili et le Pérou qui produisent du cuivre à partir de minerais à faible teneur, ne sauront pas satisfaire la demande mondiale grandissante en cuivre. Le prix du cuivre va donc se maintenir pendant longtemps à un haut niveau.
La RDC a-t-elle encore un grand potentiel en cuivre ?
L.W. : Le potentiel est très important. Pour preuve, Ivanhoe, qui sort ses premières tonnes de cuivre, poursuit l’exploration dans une grande concession voisine de celle de Kamoa-Kakula. L’entreprise investit cette année 20 millions de dollars dans de nouvelles explorations. On peut découvrir d’autres Kamoa-Kakula dans le Lualaba. Des gisements de métaux divers sont également présents dans la partie sud du pays ainsi que dans le nord-est, où existent, en plus de la grande mine de Kibali,d’immenses gisements aurifères endormis sous terre qui ne demandent qu’à être découverts et exploités.
Il n’est pas normal qu’avec la dotation minérale exceptionnelle dont elle jouit, la RDC n’arrive à pas attirer des dollars dans la prospection géologique et l’exploration.
Y-a-t-il de nouveaux investisseurs dans l’exploration ?
L.W. : La question de l’investissement est une préoccupation que la Chambre des mines souhaite soulever auprès des dirigeants congolais.Il n’est pas normal qu’avec la dotation minérale exceptionnelle dont elle jouit, la RDC n’arrive à pas attirer des dollars dans la prospection géologique et l’exploration. Ivanhoe et Barrick sont parmi les rares compagnies qui investissent dans ce domaine. Ceux qui font de l’exploration se comptent sur les doigts de la main. Nous n’attirons pas plus d’investissement au kilomètre carré que l’Afrique de l’Ouest dont la dotation minérale est, de loin, inférieure à la nôtre. Il y a donc un sérieux problème dans notre politique actuelle d’octroi des permis de recherche, ainsi que dans les mesures d’accompagnement et dans le cadre réglementaire. Si les entreprises ne viennent pas, c’est en partie parce qu’elles sont frileuses et ne sont pas rassurées par un cadre qui ne semble pas stable et transparent. Elles préfèrent donc aller ailleurs. C’est sur ces points que l’on doit travailler pour attirer les investissements.
.Propos recueillis par Muriel Devey Malu-Malu (Makanisi)