Les policiers de Montréal ont rencontré un influent mafieux du clan Rizzuto pour l’inciter à ramener le calme dans le nord-est de la ville, plombé par une vague de fusillades entre gangs de rue.
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Davide Barberio, considéré comme le « boss de la rue » au sein de la mafia italienne, s’est fait passer le message qu’il devrait mettre de l’ordre dans le monde interlope du secteur de Rivière-des-Prairies, a appris notre Bureau d’enquête.
Les enquêteurs du SPVM ont effectué cette approche inusitée au cours des derniers jours, alors que l’explosion de violence par armes à feu soulève des préoccupations à l’hôtel de ville de Montréal et représente un enjeu majeur de la présente campagne électorale municipale.
Selon nos sources, leur message à Barberio vaut également pour son principal partenaire d’affaires, le mafioso notoire Marco Pizzi.
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« Leur » territoire
Barberio et Pizzi sont à la tête d’un des plus imposants groupes criminels de la métropole, selon des documents policiers auquel notre Bureau d’enquête a eu accès, ce qui leur donnerait la capacité d’intervenir pour calmer les tensions entre gangs de rue.
Photo d’archives
Le 29 mai, un VUS a été criblé de balles dans le secteur Pointe-aux-Trembles, un autre quartier chaud du nord-est de la ville.
Leur organisation aurait la mainmise du marché des stupéfiants dans le quartier Rivière-des-Prairies, l’un des rares territoires sous le contrôle exclusif de la mafia à Montréal, où ce marché est dominé par les Hells Angels.
Auparavant, le secteur de Rivière-des-Prairies dans l’arrondissement Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles était contrôlé par le mafioso Salvatore Scoppa, tué par balles dans un hôtel de Laval au printemps 2019.
Mais ce secteur de la ville est aussi l’un des plus touchés par la flambée de fusillades qu’on observe depuis deux ans.
Photo d’archives
Un homme a été atteint d’un projectile dans sa voiture sur la 55e Avenue, le 1er septembre.
En 2021, on y dénombre jusqu’à maintenant quatre meurtres et une quinzaine de fusillades. Dans certains cas, des balles perdues ont atteint des résidences de gens qui n’ont rien à voir avec ces conflits.
Un « atout »
L’organisation Pizzi-Barberio serait également « bien implantée » dans le secteur voisin de Montréal-Nord, d’après les mêmes rapports policiers.
Les deux hommes ont eux-mêmes survécu à des attaques armées au cours des dernières années.
Barberio, une étoile montante de la mafia qu’on surnomme « Baldy » en référence à son crâne chauve, a été blessé par balle lors d’une tentative de meurtre, le 21 septembre dernier, à Laval. Le tireur court toujours.
En plus d’être considérés comme d’importants associés du clan Rizzuto, Pizzi et Barberio ont des contacts « bien établis » au sein des gangs de rue et des motards.
La police estime que ces contacts avec les gangs de rue « représentent un atout » pour le duo mafieux, d’après les documents que nous avons consultés.
Le 29 mai dernier, les policiers ont observé les deux mafiosi dans un restaurant de Rivière-des-Prairies en compagnie de plusieurs membres des Hells Angels, dont le plus influent de la bande, Martin Robert.
Une organisation plus forte que jamais
L’organisation criminelle de Marco Pizzi et de Davide Barberio serait « plus forte que jamais », quatre ans après que ses leaders se soient tirés indemnes d’une frappe policière.
C’est ce que la police de Montréal note dans des documents internes sur le crime organisé en 2021 que notre Bureau d’enquête a pu consulter.https://omny.fm/shows/richard-martineau/montr-al-demande-la-mafia-de-calmer-le-jeu-dans-le/embed
La montée en puissance de Pizzi et Barberio coïncide avec son association depuis deux ans avec le clan Rizzuto, lui-même redevenu le groupe criminel le plus dominant de la mafia montréalaise.
On les dit impliqués dans les hautes sphères de l’importation et de la distribution de drogue, dans le prêt usuraire, le blanchiment d’argent et le jeu illégal en ligne, en plus d’être bien branchés avec plusieurs factions majeures du crime organisé.
Entre autres, la police les identifie au sein du groupe derrière le projet de casino sur le territoire de Kanesatake, sur la Rive-Nord de Montréal, dont notre Bureau d’enquête a révélé l’existence en avril dernier.
Période houleuse
En 2016, les deux hommes étaient passibles de longues peines de prison après avoir été arrêtés et inculpés dans l’opération antidrogue Clemenza.
Cette enquête de la Gendarmerie royale du Canada avait mené à une quarantaine d’arrestations, ainsi qu’à la saisie de 220 kilos de cocaïne et de deux millions $.
Mais l’année suivante, Pizzi et Barberio ont été libérés de toute accusation quand la police et la Couronne fédérale ont refusé de divulguer à la défense des techniques d’enquête secrètes.
À l’époque, Pizzi avait des ennuis que la police attribue à des dettes et à ses anciennes allégeances.
Son groupe faisait alors affaire avec un clan adverse de celui des Rizzuto.
De son côté, Barberio était issu de l’organisation du défunt caïd Giuseppe « Ponytail » De Vito, un rival du clan Rizzuto qui est mort empoisonné au cyanure au pénitencier de Donnacona en 2013.
Ciblé deux fois
Le 1er août 2016, Marco Pizzi a échappé à des hommes armés jusqu’aux dents qui ont embouti la Mercedes qu’il conduisait à Montréal-Est. Il a réussi à s’enfuir en courant sans être blessé.
En décembre 2014, il était attablé avec Tonino Callocchia, un proche du clan Rizzuto, dans un restaurant du quartier Anjou quand Pizzi est allé aux toilettes. Un tireur est alors entré et a abattu Callocchia, mais selon nos informations, Pizzi était lui aussi visé dans l’attentat.
Ces tensions « semblent s’être résorbées », selon nos documents policiers, bien que Barberio ait été pris pour cible le mois dernier.
QUI SONT-ILS ?
Marco Pizzi
Photo d’archives
- 51 ans
- Considéré par la police comme un importateur de cocaïne à la tête de son propre réseau de trafic dans l’est de Montréal
- Associé du clan Rizzuto
- Il a échappé à deux tentatives de meurtre en 2014 et en 2016
- Arrêté en 2016 dans l’opération antidrogue Clemenza, mais libéré de toute accusation en 2017
Davide Barberio
Photo courtoisie
- 42 ans
- Considéré par la police comme le « patron de la rue » pour la mafia, chargé d’assurer la discipline
- Associé du clan Rizzuto
- Lui aussi arrêté dans l’opération Clemenza et libéré des accusations portées contre lui en 2017
- Victime d’une tentative de meurtre le 21 septembre 2021 à Laval
Deux gangs en guerre
◆ La majorité des fusillades survenues dans le nord-est de Montréal s’inscrivent dans une guerre entre deux gangs de rue liés aux « Rouges » : les Profit Boys, basés à Rivière-des-Prairies, et les Zone 43 (en référence à la ligne d’autobus 43 de la STM), à Montréal-Nord.
Photo tirée d’Instagram
Le rappeur montréalais Mackazoe, qui affichait ouvertement son allégeance au gang Profit Boys, est l’une des victimes du triple homicide.
◆ L’origine de ce conflit remonte en avril 2011 lorsqu’un rappeur membre des Zone 43, André Louis Junior Jean, 24 ans, a été tué à Rivière-des-Prairies, selon des documents policiers.
◆ En septembre 2013, à la prison de Rivière-des-Prairies, un proche des Profit Boys, Jean Romel Victor, a été ébouillanté et battu à mort par des codétenus liés aux Zone 43.
◆ Selon le Service du renseignement criminel du Québec (SRCQ), les deux gangs s’affronteraient principalement pour se disputer des parts du marché des stupéfiants.
◆ Chacun de ces gangs est impliqué dans la vente de stupéfiants, le proxénétisme et les armes à feu, en plus d’afficher des vidéos de leurs activités criminelles sur les réseaux sociaux.
◆ Depuis 2019, la recrudescence de violence entre les deux gangs a été alimentée par le recrutement de plusieurs nouveaux membres, des jeunes qui « ne se privent pas d’utiliser la violence et des armes à feu pour commettre leurs délits », d’après le SRCQ.
Pas une première
Ce n’est pas la première fois que la police approche d’influents criminels pour les inciter à intervenir en parallèle avec les autorités lorsqu’une situation dégénère sur un de « leurs » territoires. Bien que méconnue de la population, cette stratégie policière donne parfois plus de résultats que des discours de politiciens.
◆ Cafés italiens
Le SPVM l’a fait entre 2009 et 2010 lorsque des cafés italiens du nord-est de Montréal ont été les cibles de 18 incendies criminels liés à des conflits de mafieux, avant d’épingler des responsables.
◆ Crise du fentanyl
En 2017, la police a mis de la pression sur les Hells Angels quand la crise du fentanyl a éclaté à Montréal, tout en traquant les trafiquants qui causaient des surdoses mortelles en vendant de l’héroïne « coupée » avec cet opiacé. À la tête du marché de la drogue, les Hells s’en sont mêlés pour que ça cesse en faisant tabasser des fautifs.
Par Marc Sandreschi/ Félix Séguin/Eric Thibault (TVAnouvelles.cd