
C’est la dernière des grandes icônes de la lutte contre l’apartheid : l’archevêque Desmond Tutu, la conscience de l’Afrique du Sud mais aussi un grand espiègle et un rire puissant, est mort dimanche 26 décembre 2021 à 90 ans.Celui que le sénateur Edward Kennedy, en visite à Pretoria dans les années 1990, avait baptisé « le Martin Luther King de l’Afrique du Sud » s’en est allé sur la pointe des pieds. La comparaison avec le leader de la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis avait bien plu à l’homme d’église. Lui aussi avait « fait un rêve », semblable à celui du pasteur noir américain assassiné en 1963. Lui aussi fut en son temps traqué et régulièrement menacé par les partisans de ce qu’il appelait « le système le plus vicieux jamais inventé depuis le nazisme », l’apartheid.
Jusqu’à récemment, le prix Nobel de la paix a imposé sa petite silhouette violette et son franc-parler légendaire pour dénoncer les injustices et écorner tous les pouvoirs.
Le président Cyril Ramaphosa a exprimé “sa profonde tristesse” face au décès de ce “patriote sans égal”, “un homme d’une intelligence extraordinaire, intègre et invincible contre les forces de l’apartheid”, qui laisse une veuve, “Mama Leah”, et leurs quatre enfants.
Cette mort représente “un nouveau chapitre de deuil dans l’adieu de notre nation à une génération de Sud-Africains exceptionnels qui nous ont légué une Afrique du Sud libérée”, a-t-il ajouté, un mois après la mort de FW de Klerk, dernier président blanc du pays.
Le père de la nation arc-en-ciel
Il y a trente ans, la libération de Mandela signait la « mort » de l’apartheid
“C’est si triste”, soupire Miriam Mokwadi, infirmière retraitée de 67 ans. “Tutu était un vrai héros pour nous, il s’est battu pour nous”, dit-elle, tenant sa petite fille par la main.
D’autres se succédaient devant sa maison du Cap, ou encore celle que l’archevêque avait conservée à Soweto, un township de Johannesburg.
Perte “incommensurable”
“Nous pleurons sa disparition”, a réagi l’archevêque anglican du Cap, Thabo Makgoba, mais célébrons “aussi la vie d’un homme profondément spirituel”.
“Il ne craignait personne […] Il contestait les systèmes qui rabaissaient l’humanité”, a-t-il rappelé, tout en pardonnant quand “les auteurs du mal connaissaient un vrai changement de cœur”.
Desmond Tutu s’était fait connaître aux pires heures du régime de l’apartheid. Alors prêtre, il organise des marches pacifiques contre la ségrégation et plaide pour des sanctions internationales contre le régime blanc de Pretoria.
Sa robe lui a épargné la prison. Son combat non-violent avait été couronné du prix Nobel de la paix en 1984.
Après l’apartheid, fidèle à ses engagements, il avait dénoncé les dérives du gouvernement de l’ANC, des errements dans la lutte contre le sida aux scandales de corruption.
En 2013, il avait même promis de ne plus voter pour le parti fossoyeur de l’apartheid : “Je n’ai pas combattu pour chasser des gens qui se prenaient pour des dieux de pacotille et les remplacer par d’autres qui pensent en être aussi”.
Parmi ses autres combats, il a aussi défendu les homosexuels – “Je ne vénérerais pas un Dieu homophobe […] Je refuserais d’aller dans un paradis homophobe” – et milité pour le droit au suicide assisté.
La dernière fois que le pays a eu de ses nouvelles, c’était le 1er novembre. Loin des regards, il avait voté aux élections locales.
Avec La Libre Afrique/AFP