Dans un communiqué daté du 3 juillet 2020, l’Asadho (Association africaine de défense des droits de l’Homme) accuse le juge Kibonge Kinene du tribunal de grande instance (TGI) de Kinshasa/Kalamu d’abuser des manœuvres dilatoires pour empêcher l’acquittement de Pascal Mukuna. Conséquence: le prononcé du jugement prévu le 27 juin a été est reporté au vendredi 3 juillet. Un rendez-vous manqué au gré des foucades de ce magistrat qui exige désormais la réouverture des débats avec d’autres juges. L’affaire Mukuna contre Tshibola confirme ce que l’opinion congolaise savait. A savoir, qu’il s’agit d’un dossier qui n’est judiciaire qu’en apparence.
Dès le premier paragraphe du texte, l’Asadho reproche au juge Kibonge Kinene du tribunal de grande instance de Kinshasa/Kalamu de fouler aux pieds, sciemment, les textes légaux. L’objectif, écrit cette association, est de « s’assurer de la condamnation » de Pascal Mukuna dans le dossier RM15511 qui l’oppose au ministère public et à la partie civile Mamie Tshibola.
Lors d’une précédente audience, le représentant du ministère public s’est livré à un réquisitoire pour le moins burlesque. Il avait requis la peine de 20 ans d’emprisonnement pour « viol », deux ans pour menace ainsi qu’une amende 1.500.000 FC pour détention illégale des documents.
Et pourtant. Les différents témoins invités à la barre devant les trois juges ont disculpé Mukuna. Peut-on franchement parler de viol lorsque la « victime » parait non seulement consentante mais surtout prend soin de réaliser un enregistrement vidéo de ses ébats avec son prétendu « violeur »?
L’affaire fut prise en délibéré lors de l’audience du mercredi 17 juin. Les parties attendaient que les trois juges en l’occurrence Kibonge Kinene, Ndonda et Mwamba rendent leur jugement le samedi 27 juin. Surprise: le juge Kibonge a renâclé de se rallier à deux autres collègues ayant décidé l’acquittement de Pascal Mukuna.« Au lieu de prononcer le jugement », indique l’Asadho, le juge Kibonge s’est cru en droit de remettre le compteur à zéro en exigeant la « réouverture des débats ». Au motif qu’il y a« d’autres devoirs à accomplir ». Lesquels?
UNE AFFAIRE POLITICO-JUDICIAIRE
Face à l’opposition des juges Ndonda et Mwamba – qui estiment avoir été suffisamment éclairés lors des audiences et qu’aucun élément nouveau ne pouvait changer l’issue du procès -, le juge Kibonge a décidé la réouverture du procès. Joignant le geste à la parole, il a désigné les juges Minsay et Bukiabu « pour siéger avec lui ». « Il se rend ainsi coupable de décider sur cette cause avec les juges n’ayant jamais siégé et participé à l’instruction de cette cause », souligne le texte. Un nouveau rendez-vous était pris le vendredi 3 juillet. Un rendez manqué avec ce juge qui ne fait qu’à sa tête.
Pour l’Asadho, le juge Kibonge a, à ce stade de la procédure, violé tous les principes fondamentaux qui garantissent un procès juste et équitable. Pour elle, il incombe désormais aux autorités judiciaires en général et au Conseil supérieur de la magistrature en particulier de rappeler ce juge à l’ordre. Il s’agit de le contraindre « à prononcer la sentence qui était déjà prise par les juges ayant participé régulièrement à l’instruction » de cette affaire.
Les ennuis judiciaires de Pascal Mukuna, leader de l’éveil patriotique, ont débuté le 8 mai dernier. Ce jour-là, en compagnie des membres de l’éveil patriotique, il s’est rendu au parquet général près la Cour constitutionnelle pour déposer une « dénonciation » des crimes commis sous la Présidence de « Joseph Kabila ». La suite est connue avec le dépôt de la plainte de la dame Mamie Tshibola au parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe.
Samedi 9 mai, le ministre des Droits humains le Fcc/Ccu André Lite Asebea a fait une « sortie médiatique » qui a donné à cette affaire une tournure politique en invitant le procureur général près la juridiction précitée de « traiter » la plainte de cette dame « avec diligence ».
Dimanche 10 mai, la ministre Nene Ilunga Nkulu, étiquetée Fcc, de surenchérir. Cette dissidente de l’AFDC-A de Bahati Lukwebo demande aux autorités judiciaires« de se saisir d’office des propos injurieux et diffamatoires par Pascal Mukuna à l’endroit de Joseph Kabila et de le sanctionner de manière sévère conformément à la loi pénale ». Il faut refuser de regarder pour ne pas voir qu’on se trouve face à une affaire politico-judiciaire.
Invité à comparaître le 13 mai au parquet de Kinshasa/Gombe, Mukuna est aussitôt mis sous mandat d’arrêt provisoire par l’avocat général Samy Bunduki. Il est transféré le lendemain à la Prison de Makala. Cela fait près de deux mois que Pascal Mukuna y est embastillé alors que l’homme a un domicile connu et ne présente aucun risque de fuite.
UN JUGE INSTRUMENTALISE
Ouvrons la parenthèse ici. Est-il injurieux et diffamatoire de clamer que Floribert Chebeya, Fidèle Bazana, Armand Tungulu, Rossy Mukendi, Thérèse Déchade Kapangala et tant d’autres ont été victimes des crimes d’Etat commis par des sbires du régime de « Kabila »? Est-il injurieux et diffamatoire ensuite de dénoncer le fait que durant ses dix-huit années de pouvoir, « Joseph Kabila » a fait déstructurer le tissu économique en mettant le pays « à genoux »? Est-il injurieux et diffamatoire enfin d’affirmer que « Kabila » qui a foulé le sol congolais en janvier 1997 avec des bottes en caoutchouc est devenu immensément riche et le Congo-Kinshasa immensément pauvre? Fermons la parenthèse.
Le 14 mai dernier, Barnabé Kikaya bin Karubi – qui s’est découvert un nouveau rôle de « voix de son maître » – a posté un tweet rageur promettant un « sévère châtiment »à Mukuna. Celui-ci est accusé de« crime-de-lèse-raïs ».
Aux dernières nouvelles, l’ancien conseiller diplomatique de l’ex-Président est libre de tout mouvement en dépit des menaces proférées qui lui ont valu une plainte restée sans suite. Preuve s’il en était besoin que la justice congolaise est toujours instrumentalisée.
Dans une interview accordée à Congo Indépendant en date du 15 mai de l’année en cours, l’avocat Jean-Claude Katende, vice-président de l’éveil patriotique, avait vu juste en confiant que la mouvance kabiliste dite Fcc (Front commun pour le Congo) « s’est dissimulée derrière cette pauvre dame manipulée pour atteindre l’évêque Mukuna ».
Dans son communiqué, l’Asadho martèle que le comportement du juge Kibonge constitue un obstacle à la volonté des autorités politiques et judiciaires d’améliorer l’administration de la justice. Pour elle, « il est urgent que des mesures soient prises sur le plan disciplinaire et pénal pour que ce juge réponde de ses actes qui ternissent l’image de la justice au Congo ».
Qui oserait croire que le juge Kibonge Kinene agit de son propre chef? Il est manipulé. Par qui? Poser la question, c’est y répondre…
Par Baudouin Amba Wetshi