Le 19 mai 1978, un régiment de la Légion étrangère menait une mission aéroportée au Zaïre, pour protéger plus de 2.000 Européens, otages des rebelles séparatistes. Récit de cette opération de sauvetage éclair.
Un succès devenu un cas d’école. Le 19 mai 1978, les légionnaires du 2e Régiment Étranger de Parachutistes (REP) sont largués sur la ville de Kolwezi, au sud-est du Zaïre (ex-Congo belge et future République Démocratique du Congo). Cette opération est décidée en urgence par le président de la République Valéry Giscard d’Estaing et fait suite à une demande d’aide du président zaïrois Mobutu Sese Seko. Elle a pour objectif de sécuriser la ville -aux mains des rebelles katangais du FLNC (Front de Libération National du Congo), qui veulent renverser le pouvoir en place- et de libérer les Européens piégés sur place. Retour sur cet épisode grâce à nos archives.
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Une intervention militaire internationale, après bien des hésitations
Le 13 mai 1978 la ville de Kolwezi, située dans la province de Shaba (ex-Katanga), est prise par 4.000 rebelles séparatistes du FLNC. Le Figaro daté du 15 mai 1978 précise qu’il s’agit «des anciens gendarmes du leader sécessionniste Moïse Tshombé, qui se sont réfugiés en Angola lorsque le président Mobutu a pris le pouvoir en 1965». Ils sont entrés sur le territoire zaïrois via la Zambie. Depuis 1977 c’est la deuxième attaque extérieure dans cette province, qui attise les convoitises. C’est en effet le poumon économique du pays là où se situent des mines de cuivre, cobalt, zinc, uranium… Le lendemain, le président zaïrois Mobutu fait appel aux États-Unis, à la France, à la Belgique, au Maroc et à la Chine «pour que ces pays aident le Zaïre à faire face», rapporte le journal.
Le problème le plus urgent, selon Le Figaro du 17 mai, est celui de la «sécurité des quelques milliers d’Européens et de la centaine d’Américains qui remplissent au Shaba des tâches parfaitement civiles.» Selon le porte-parole de l’Élysée, Pierre Hunt, la population occidentale de la ville est composée de «2.500 Belges, 400 Français, 75 Américains et quelques Italiens.» Les nombreux ressortissants européens qui travaillent pour la société minière Gécamines (la Générale des Carrières et des Mines, compagnie nationalisée par Mobutu) et leur famille sont pris en étau. Sur place la situation est préoccupante: «Les informations qui nous parviennent sur l’évolution de la situation au Shaba restent chaotiques et contradictoires mais deux faits paraissent acquis: la chute de Kolwezi que des parachutistes gouvernementaux tentent actuellement de reconquérir, et la mort de plusieurs civils européens.»
Le 18 mai, Le Figaro informe que «Les rebelles se livrent à une véritable “chasse aux Européens”». Les Français sont particulièrement ciblés. Les «Tigres de Shaba» (ils portent un tigre argenté comme insigne) commettent des exactions, des pillages, des exécutions sommaires. En effet, après l’échec de l’intervention des parachutistes zaïrois et les rumeurs annonçant une intervention étrangère, la ville est mise à feu et à sang. «Même la population noire paraît prise de panique: elle fuit la zone des combats pour se réfugier en Zambie», raconte Le Figaro qui ajoute que «Les capitales occidentales sont très divisées sur la conduite à tenir à l’égard du problème zaïrois dans son ensemble». En effet à côté de l’aspect humanitaire -population occidentale et zaïroise en danger- se pose la question politique d’une intervention: le maintien au pouvoir de Mobutu et la stabilité de la région. La France et la Belgique, dont est originaire la majorité des expatriés menacés, hésitent à intervenir.
Mais le lendemain, le 19 mai le quotidien annonce qu’à la suite d’une demande officielle d’aide étrangère de la part du général Mobutu, une opération militaire internationale est en cours au Zaïre. Quatre pays y participent: la France (un régiment de la Légion étrangère), la Belgique (des paras-commandos), le Maroc (des troupes d’élites) et les États-Unis (des avions).
Une opération de sauvetage menée par les légionnaires
Une dépêche AFP avait dévoilé le 18 mai dans l’après-midi que deux compagnies du 2e Régiment étranger de parachutistes -stationné à Calvi en Corse- ont quitté la base stratégique de Solenzara. L’opération «Bonite» est lancée: les paras rejoignent la capitale du Zaïre, Kinshasa. Elle est dirigée sur le terrain par le colonel Yves Gras, chef de la mission militaire française au Zaïre.
Le 19 mai à 15h10 (heure française) 400 légionnaires -sous le commandement du colonel Philippe Erulin- sont largués aux lisières de Kolwezi. Deux heures plus tard, deux cents autres paras sautent à leur tour. Le Figaro du 22 mai, relève que contrairement aux Katangais qui ont une longue expérience du combat, beaucoup de légionnaires reçoivent le baptême du feu. Ainsi sur le papier les pronostics ne leur sont guère favorables. Et pourtant…
«L’exceptionnelle condition physique, la discipline de feu et les qualités manœuvrières des paras légionnaires emmenées par des cadres chevronnés» renversent la situation. Pierre Darcourt, journaliste au Figaro précise qu’«en moins de vingt heures de combat à pied», ils reprennent le contrôle de la ville, rétablissent la sécurité dans Kolwezi et délivrent deux mille cinq cents otages. La mise en place, les jours suivants, d’un pont aérien permet d’évacuer quelque 2.000 civils occidentaux de Kolwezi. La ville est vidée de ses ressortissants étrangers.
Lors de leur mission les «bérets verts» découvrent l’horreur: des centaines de personnes assassinées. L’envoyé spécial du Figaro, Thierry Desjardins, rapporte dans l’édition du 23 mai qu’ «au fil des heures, les légionnaires du 2e REP continuent à trouver des cadavres en décomposition dans des villas, dans des jardins, aux alentours immédiats de la ville. Hier soir on avait pu dénombrer 127 corps Européens et plus de 300 corps d’Africains.» Il poursuit en indiquant «que les hommes du colonel Erulin dégagent rapidement les charniers, car on redoute déjà des épidémies» et qu’ils se sont rendus compte en déplaçant les morts qu’un grand nombre d’entre eux «ont été massacrés à coups de machettes, décapités (et leurs bourreaux ont dû s’y reprendre à maintes reprises), parfois éventrées[…]». Et d’ajouter: «Il n’est pas possible de regarder ces cadavres sans être pris par une effroyable nausée, et sans avoir presque un désir de vengeance».
Le bilan de la tragédie de Kolwezi est lourd: 700 civils tués dont 170 Européens, 250 morts du côté des rebelles, 5 parmi les légionnaires (et 20 blessés), et un para-commando belge.
Un pari risqué transformé en succès
La mission humanitaire et militaire est saluée dans le monde par un concert de louanges. «Une opération magistralement exécutée telle est aujourd’hui l’opinion exprimée par la plupart des experts militaires des différentes capitales européennes» peut-on lire dans Le Figaro du 22 mai. D’autant plus que les parachutistes de la Légion étrangère se sont retrouvés seuls en première ligne le premier jour, alors que, comme le rappelle Le Figaro «Cette intervention française au Zaïre ne constituait, pas au départ une initiative isolée».
En effet les légionnaires ne peuvent disposer d’aucun soutien au sol lorsqu’ils sautent sur Kolwezi. Le Figaro révèle que l’état-major belge, qui a planifié «Une vaste opération avec de gros effectifs, de l’artillerie et des véhicules d’appui» n’a prévu de faire entrer en action ses troupes que le lendemain. Le commandement français décide quant à lui d’agir vite, en raison des indiscrétions de nombreuses stations radios étrangères -captées facilement par les rebelles à Kolwezi- qui ne permettent plus à «l’effet de surprise de jouer à plein». Mais aussi parce qu’il considère que tout retard accroît les risques mortels encourus par les résidents étrangers. Cette opération préparée dans l’urgence est par ailleurs extrêmement risquée en raison du rapport de force largement en faveur des rebelles: un légionnaire contre dix rebelles le premier jour.
Selon Le Figaro «La manœuvre française reposait sur trois atouts: l’effet de surprise, la rapidité d’exécution et la qualité exceptionnelle des paras du 2e REP.» Et de préciser: «L’effet de surprise résidait avant tout dans le choix du premier point de largage et “la vitesse d’arrivée à terre”. Le commandement français avait trouvé une “dropping zone” idéale dans la ville ancienne: un vieux terrain d’aviation, datant d’avant la Deuxième guerre, masqué aux regards par un rideau d’arbre.»
Exploit militaire devenu un cas d’école, cette mission fait apparaître la nécessité de transmissions par satellite sécurisées. Elle démontre aussi l’efficacité des troupes professionnelles et accélère le processus de professionnalisation des forces armées françaises.
En juin 1978, les légionnaires français passent le relais à une force africaine (Maroc, Gabon, Côte d’Ivoire, Sénégal, Togo). Sur le plan politique, la déstabilisation du régime n’a pas eu lieu -Mobutu reste aux commandes du pays. En raison de la destruction de la ville et des installations minières, du départ des Occidentaux, plusieurs années seront nécessaires pour retrouver une activité économique équivalente à celle d’avant les évenements.
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Par Véronique Laroche-Signorile (Le Figaro)
Publié le 18/05/2018